Livret A : pourquoi les Français commencent à lâcher leur livret fétiche
En plein automne, le vent tourne pour l’épargne des ménages. Les livrets réglementés, longtemps perçus comme des refuges intouchables, voient les sorties d’argent s’enchaîner mois après mois.
Derrière ce mouvement discret, une recomposition plus profonde de l’épargne française se dessine… Et elle pourrait encore s’amplifier au début de l’année 2026.

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Un placement historique qui vacille discrètement
Pendant des années, le Livret A a été le symbole de l’argent « bien rangé ». Sans risque et disponible à tout moment. Son cousin, le LDDS, partageait cette image de petit coffre-fort réglementé, garanti par l’État, simple d’accès et totalement défiscalisé. Dans l’esprit de nombreux Français, il suffisait d’alimenter ces livrets régulièrement pour « bien épargner », sans se poser davantage de questions.
Depuis l’été 2025 pourtant, les signaux d’alerte se multiplient. Les flux d’argent ne se contentent plus de ralentir : ils s’inversent. Les sorties deviennent supérieures aux entrées, mois après mois, traduisant un vrai mouvement de désengagement. Après plusieurs épisodes de retraits marqués pendant l’été, le mois d’octobre accentue ce basculement.
Ce n’est pas seulement un petit repli conjoncturel. Les chiffres publiés par la Caisse des dépôts montrent une rupture durable. Avec les habitudes d’épargne observées depuis plus d’une décennie. Les Français ne vident pas forcément leurs livrets pour consommer davantage. Mais ils semblent clairement reconsidérer la place de ces produits dans leur stratégie financière.
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Un rendement devenu trop faible pour certains épargnants
Le cœur du malaise est simple à comprendre : le rendement. Depuis le 1ᵉʳ août 2025, le taux du Livret A a été abaissé à 1,7 %. Dans un contexte où les taux de marché et l’inflation ont fortement ralenti, ce chiffre peut paraître cohérent techniquement. Mais pour celui qui regarde simplement ce que lui rapporte son livret en fin d’année, la sensation est toute autre.
Quand la rémunération tombe à ce niveau, l’épargne a l’impression de stagner. Entre l’augmentation parfois persistante de certaines dépenses du quotidien. Et un livret qui rapporte peu, la perception est celle d’un effort mal récompensé. Beaucoup de titulaires découvrent alors ce qu’ils avaient davantage tendance à ignorer jusqu’ici. Un capital garanti ne signifie pas forcément un pouvoir d’achat préservé dans le temps.
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Ce taux de 1,7 %, qui pourrait encore reculer début 2026, agit comme un révélateur. Il amène de plus en plus de ménages à différencier ce qui relève de la épargne de précaution. L’argent destiné aux coups durs, aux dépenses imprévues – de ce qui devrait plutôt être orienté vers des placements de long terme, susceptibles de mieux rémunérer l’effort d’épargne.
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L’épargne ne disparaît pas, elle change de support
Face à ces rendements jugés insuffisants, on pourrait croire que les Français se contentent de consommer plus. En réalité, les données montrent autre chose : une réorientation de l’épargne vers d’autres produits jugés plus attractifs, mais toujours encadrés et relativement sécurisés.
Le grand bénéficiaire de ce mouvement est l’assurance vie, et plus particulièrement les contrats investis sur des fonds en euros. Ces supports offrent eux aussi une garantie en capital, mais leur rendement est aujourd’hui attendu à un niveau plus élevé que celui des livrets réglementés.
Selon le directeur du Cercle de l’épargne, le rendement moyen des fonds euros en 2025 pourrait tourner autour de 2,6 %, ce qui replace ce produit dans une zone de compétitivité intéressante.
Ce différentiel peut sembler modeste sur le papier, mais il change beaucoup de choses sur des montants accumulés pendant des années. D’autant que certains Français ont pris l’habitude de laisser dormir sur leurs livrets des sommes bien supérieures à ce qu’ils utiliseraient en cas de coup dur.
Pour une partie de ces encours, le basculement vers l’assurance vie n’a donc rien d’une prise de risque démesurée, mais plutôt d’un ajustement logique.
La dynamique est très visible. En septembre, les versements sur des contrats d’assurance vie ont atteint près de 15 milliards d’euros, un record pour ce mois selon les données de la profession. Ce n’est donc pas l’envie d’épargner qui recule, mais la confiance dans certains produits, au profit d’autres jugés plus efficaces.
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Taux d’intérêt, inflation : la mécanique qui bouscule les livrets
Pour comprendre ce qui se joue, il faut regarder la mécanique des taux d’intérêt et de l’inflation. Le taux du Livret A et celui du LDDS ne sont pas fixés au hasard : ils dépendent d’une formule réglementaire qui combine l’évolution des prix à la consommation et certains taux de marché en zone euro.
Ces derniers mois, l’Insee anticipe une inflation autour de 1 % en 2026, un niveau bien plus modéré que celui observé lors du pic de la crise énergétique. Dans le même temps, la Banque centrale européenne commence à réduire progressivement ses taux directeurs pour soutenir l’activité économique de la zone euro. Quand ces deux indicateurs ralentissent en même temps, la formule qui sert de base au calcul des livrets aboutit mécaniquement à un rendement plus faible.
Ce mécanisme n’a rien de mystérieux, mais il est souvent mal perçu. Beaucoup d’épargnants ont le sentiment de « faire ce qu’il faut » en laissant leur argent sur un support garanti, et découvrent avec frustration que ces efforts sont de moins en moins rémunérés. Ce décalage entre la logique macroéconomique et le ressenti individuel contribue à nourrir le malaise actuel autour de l’épargne réglementée.
Dans ce contexte, le Livret d’épargne populaire, le LEP, garde une longueur d’avance. Son taux, aujourd’hui autour de 2,7 %, reste significativement au-dessus de celui du Livret A, tout en bénéficiant de la même exonération fiscale. Mais il est réservé aux foyers dont les revenus ne dépassent pas un certain seuil, ce qui limite sa diffusion à l’ensemble des ménages.
Une crise qui se lit dans les chiffres… et qui pourrait durer
Si l’on regarde dans le rétroviseur, l’ampleur de la crise actuelle apparaît plus nettement. Le mois d’octobre 2025 marque une véritable décollecte historique pour les livrets réglementés. Les retraits sur le Livret A et le LDDS ont dépassé les dépôts de 5 milliards d’euros au total.
Dans le détail, le Livret A enregistre à lui seul une sortie nette de 3,81 milliards d’euros, tandis que le LDDS affiche une décollecte de 1,29 milliard d’euros. Selon les statistiques officielles, il s’agit de la plus forte vague de retraits constatée depuis le début des séries historiques, en 2009. Autrement dit, jamais depuis la mise en place de ces relevés, les épargnants n’avaient retiré autant d’argent de ces produits en un seul mois.
Ce mouvement ne semble pas près de s’arrêter. Les projections pour 2026 sont loin d’être rassurantes pour les défenseurs de l’épargne réglementée. Avec une inflation appelée à rester proche de 1 % et des taux monétaires orientés à la baisse, tout converge vers une nouvelle réduction du taux du Livret A à compter du 1ᵉʳ février 2026.
Le gouverneur de la Banque de France a déjà laissé entendre que, faute de remontée des prix ou des taux de marché, le Livret A pourrait se retrouver sous la barre de 1,5 % d’ici la fin 2026. Le scénario jugé le plus probable par de nombreux observateurs est même plus immédiat : un taux ramené autour de 1,5 % dès février 2026 pour le Livret A comme pour le LDDS, tandis que le LEP se stabiliserait aux environs de 2 %.
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Que retenir ?
Autrement dit, les chiffres d’octobre – 5 milliards d’euros de retraits nets et un record depuis 2009 – ne seraient pas un accident isolé, mais le début d’un cycle. Si la rémunération du Livret A continue de baisser au rythme annoncé, la migration de l’épargne vers d’autres supports sécurisés, en premier lieu l’assurance vie en fonds euros, pourrait bien se prolonger au moins jusqu’au début de 2026.