Retraités : ce que le gel des pensions change pour les complémentaires
Le 15 juillet 2025, François Bayrou a jeté un pavé dans la mare. Pour dégager 43,8 milliards d’euros d’économies, le Premier ministre a confirmé l’idée d’une « année blanche » en 2026. Depuis, les courriels affluent dans les rédactions et les permanences d’élus. Les retraités redoutent de voir disparaître la maigre revalorisation prévue pour l’an prochain. Et surtout de subir un blocage généralisé qui toucherait aussi leurs pensions complémentaires.
Au-delà du brouhaha médiatique, une question s’est imposée : le gel annoncé pour les retraites de base s’appliquera-t-il aux complémentaires ? Pour y répondre, il faut d’abord rappeler qui décide quoi, puis passer au crible les principaux régimes. Et, surtout, ne pas oublier que l’information essentielle se niche parfois dans les détails… que nous dévoilerons à la toute fin.
L’État ne pilote que les régimes de base
Dans le système français, l’État fixe les règles des retraites dites « de base ». C’est la Cnav (ou Carsat) pour les salariés du privé, la CNRACL pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, ou encore le Service des retraites de l’État pour les agents de l’État stricto sensu. Ces régimes sont directement indexés ou désindexés par décret.
Michel Barnier, à Matignon fin 2024, avait déjà joué sur la sous-indexation. François Bayrou franchit un pas supplémentaire en prônant un gel pur et simple : 0 % de hausse pour 2026, au lieu des 1,1 % à 1,3 % initialement projetés. L’exécutif espère ainsi préserver plusieurs milliards, quitte à rogner le pouvoir d’achat de millions de retraités. Mais s’il peut agir d’autorité sur les retraites de base, il n’a pas la main sur la quasi-totalité des régimes complémentaires.
Agirc-Arrco : une indexation toujours programmée
La caisse qui verse la pension complémentaire de 14 millions d’ex-salariés du privé suit ses propres règles. Depuis la fusion Agirc-Arrco de 2019, le montant du point est réévalué chaque 1ᵉʳ novembre, selon l’évolution des prix à la consommation hors tabac diminuée d’un « facteur de soutenabilité » de 0,40 point. Autrement dit, la formule colle à l’inflation tout en préservant la trésorerie du régime.
Les partenaires sociaux, qui cogèrent la caisse, ont déjà livré une estimation : entre + 0,5 % et + 0,9 % en novembre 2025. La modération est de mise, car l’inflation ralentit, mais il ne s’agit en aucun cas d’un gel. Agirc-Arrco continue donc de suivre sa propre trajectoire, indépendamment de la décision gouvernementale pour les régimes de base.
Pour les retraités du privé, c’est un soulagement mesuré : la hausse restera limitée, mais elle existera, et elle s’additionnera (ou se substituera) à la stagnation des pensions de base. Cela signifie qu’en 2026, le montant global perçu ne progressera que grâce à la partie complémentaire, au prix d’un pouvoir d’achat amputé côté régime général.
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Les indépendants, les libéraux et les autres : chacun sa logique
En dehors du mastodonte Agirc-Arrco, le paysage des retraites complémentaires est morcelé : RCI pour les commerçants et artisans, Cipav pour une partie des professions libérales, Cavec pour les experts-comptables, sans oublier les caisses spécifiques des avocats, médecins et notaires.
Ces régimes n’obéissent pas au gouvernement ; ils sont gérés paritairement ou professionnellement. Dans la grande majorité des cas, ils disposent de règles d’indexation ancrées dans leurs statuts : soit une référence à l’inflation, soit des délibérations annuelles prenant en compte la santé financière de la caisse.
Pour 2026, aucun signal ne laisse présager d’un gel synchronisé avec celui de l’État. Les conseils d’administration, souvent déjà échaudés par la baisse des rendements sur les marchés, privilégient des augmentations modestes mais récurrentes. On parle ici de variations de + 0,3 % à + 1 %, selon les hypothèses d’inflation retenues. Rien de délirant, mais assez pour éviter une année blanche totale.
Ircantec : l’exception qui confirme la règle
Seule ombre au tableau : l’Ircantec, la complémentaire des contractuels de la fonction publique (agents non titulaires, vacataires, élus locaux…). Historiquement, cette caisse aligne la revalorisation de son point sur celle du régime de base des fonctionnaires. Conséquence logique : si la pension de base est gelée, la pension complémentaire pourrait l’être aussi.
Les représentants de l’Ircantec tempèrent toutefois les inquiétudes. Ils rappellent qu’aucun vote n’a encore entériné la règle pour 2026 ; le Parlement doit se prononcer à l’automne. Si le gel gouvernemental est confirmé, le conseil d’administration de l’Ircantec pourra décider de s’en écarter, mais le précédent de 2015 (année blanche partielle) montre qu’il suit généralement la ligne de l’État. Les 2,1 millions de retraités concernés doivent donc rester vigilants.
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Pour un retraité moyen du privé percevant 1 100 euros de pension de base et 550 euros d’Agirc-Arrco, le gel envisagé amputerait d’emblée le premier volet de quelque 14 euros par mois (en l’absence d’indexation à 1,3 %). La hausse de 0,7 % côté complémentaire ne compenserait que partiellement cette perte, avec un gain estimé à 3,85 euros. En clair, le revenu global baisserait de près de 10 euros mensuels.
Chez les indépendants, la situation varie : si la caisse RCI opte pour + 0,5 %, un ex-artisant touchant 700 euros de retraite de base et 300 euros de complémentaire perdrait environ 9 euros sur la partie gelée, et n’en récupérerait que 1,5 euros. Les libéraux, eux, pourront souffler si leurs caisses appliquent une hausse, fût-elle minime, qui viendra atténuer la stagnation du régime de base, géré par l’Assurance retraite.
Les fonctionnaires titulaires, enfin, cumulent l’inertie : gel de la pension de base et éventuel gel de l’Ircantec pour ceux qui ont exercé en contractuel au cours de leur carrière. Dans ce cas précis, l’année blanche serait… blanche de bout en bout.
Comment se préparer : quelques pistes avant la décision finale
D’ici au vote du budget 2026, prévu en décembre, les retraités peuvent agir sur trois leviers. D’abord, vérifier leur taux de prélèvement à la source : un gel des retraites n’empêche pas une variation de l’impôt sur le revenu, surtout si le barème est gelé lui aussi. Ensuite, ajuster le rythme des retraits sur un Plan d’épargne retraite ou une assurance-vie, histoire d’absorber la baisse ponctuelle de pouvoir d’achat. Enfin, rester attentif aux délibérations de leur caisse : certaines peuvent décider tardivement d’adoucir le gel.
Là où se cache la véritable variable d’ajustement
Jusqu’ici, nous avons vu que la plupart des retraites complémentaires échapperont au gel, sauf cas particuliers. Pourtant, un élément capital n’a pas encore été dévoilé : la revalorisation de l’Agirc-Arrco n’est pas gravée dans le marbre. Si l’inflation repart soudainement à la baisse, la formule pourrait mécaniquement ramener l’indexation tout près de zéro, voire nul. Les partenaires sociaux disposeront d’une marge de manœuvre, mais ils pourraient privilégier la prudence pour protéger les comptes du régime.
Autrement dit, le sort des 14 millions de retraités du privé reste suspendu à l’évolution des prix des prochains mois. Et c’est bien là que se joue toute la différence : le gel n’est pas imposé par l’État, mais la conjoncture pourrait l’imposer de facto. Voilà pourquoi la question de Bob était si pertinente : le danger ne vient pas seulement des décisions politiques, mais plus encore de la capacité des caisses complémentaires à affronter un contexte économique mouvant.
En résumé, si le gouvernement peut bloquer les pensions de base, il n’a pas les clés des complémentaires. La plupart d’entre elles, y compris l’Agirc-Arrco, devraient afficher une hausse, même timide, au 1ᵉʳ novembre 2025. Seule l’Ircantec risque de calquer sa revalorisation sur le gel étatique. Mais attention : la véritable inconnue, c’est l’inflation. Si les prix ralentissent davantage, la formule de l’Agirc-Arrco pourrait mécaniquement ramener la hausse à zéro, privant les retraités du privé de l’unique bouée de sauvetage qu’ils pensaient acquise. C’est cette possible neutralisation automatique—et non la décision de Matignon—qui pourrait finalement transformer l’année 2026 en véritable année blanche pour des millions de pensions complémentaires.