Une généraliste poursuivie pour un refus de renouvellement d’ordonnance, le dossier examiné par l’Ordre
Deux versions s’opposent autour d’un renouvellement d’ordonnance pour hypertension qui a mal tourné. D’un côté, un patient de 44 ans qui assure avoir souffert de « douleurs thoraciques » et de « maux de tête sévères ». De l’autre, une médecin généraliste vendéenne qui dit n’avoir constaté aucune urgence médicale justifiant un mois de traitement supplémentaire. L’affaire, survenue au Bois-de-Céné (Vendée), a été portée devant la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins des Pays-de-la-Loire.
L’audience a eu lieu, le patient absent. La praticienne, elle, maintient sa position et réclame une indemnisation pour plainte abusive. La décision est mise en délibéré : elle sera connue « dans les prochaines semaines ».
Crédit : National Cancer Institute
Une consultation banale qui se tend, puis s’envenime
Au départ, le scénario a tout d’un rendez-vous pratique. Un homme, 44 ans, revient dans le cabinet d’une généraliste pour demander la reconduction d’un médicament contre l’hypertension artérielle. Selon ses dires, ce traitement lui avait été « prescrit aux urgences ». Il affirme qu’au moment de sa demande, il subissait des « douleurs thoraciques » et des « maux de tête sévères ». Des symptômes qui, pour lui, justifiaient qu’on n’attende pas.
Mais la scène ne se limite pas à l’argument médical. Très vite, ce rendez-vous s’inscrit dans une relation déjà compliquée. La praticienne rappelle un précédent. Deux ans plus tôt, le patient aurait eu un comportement agressif avec une remplaçante. Au point de filmer la scène et de refuser le masque sanitaire. À cela s’ajouteraient des échauffourées verbales avec la secrétaire médicale. Et même une altercation avec un autre patient qui aurait tenté de « s’interposer ». Ces éléments ne sont pas accessoires dans le récit présenté à l’Ordre des médecins. Ils éclairent un contexte où la confiance est déjà fissurée.
« Aucune urgence médicale » : le cœur du refus
La médecin assume : elle a refusé de renouveler pour un mois complet un traitement antihypertenseur qu’elle n’estimait pas urgent. Dans sa bouche, l’expression « il n’y avait aucune urgence médicale » revient comme un pivot de décision. Elle ne nie pas la demande du patient ni les symptômes rapportés ; elle affirme seulement qu’ils ne constituaient pas, au moment précis, une situation imposant de délivrer tout de suite un mois de médicament.
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Ce point, simple en apparence, est le nœud du dossier : un médecin peut-il, dans un cadre libéral, refuser un renouvellement s’il considère que les conditions ne sont pas réunies ? Ici, la praticienne soutient avoir agi dans l’intérêt médical et dans le respect d’une pratique prudente. Elle avance aussi un élément concret : le patient n’a pas été laissé sans solution. Mais saviez-vous que… selon sa défense, une liste de confrères et consœurs lui a été remise pour qu’il puisse consulter un autre médecin rapidement ?
Crédit : Rhoda Baer / NCI
Le patient contre-attaque : plainte, symptômes et prescription « des urgences »
Face à ce refus, l’homme de 44 ans ne se contente pas d’exprimer son mécontentement. Il saisit l’instance ordinale. Dans sa plainte, il rappelle la prescription initiale aux urgences et répète la nature et l’intensité de ses douleurs : la poitrine serre, la tête cogne. Il demande qu’on reconnaisse une faute dans l’attitude de la généraliste qui n’aurait pas « assuré la continuité » du traitement.
À l’audience, cependant, un détail pèse : le plaignant ne s’est pas déplacé. L’absence physique n’annule pas les griefs, mais elle laisse la défense de la praticienne installer sa chronologie : les antécédents de tension au cabinet, l’épisode du masque refusé, les propos agressifs, le tournage de la scène avec un téléphone, puis la demande de renouvellement qui intervient dans ce contexte déjà dégradé. Ce détail que peu de gens connaissent… devant l’Ordre, la façon de présenter une relation médecin–patient compte presque autant que les papiers médicaux.
Crédit : National Cancer Institute
Une audience crispée : deux narrations, une même salle
Devant la chambre disciplinaire des Pays-de-la-Loire, les mots pèsent. L’avocate de la généraliste soutient que sa cliente n’a commis aucune faute déontologique. Elle insiste sur deux choses : l’absence d’urgence médicale et l’orientation du patient vers d’autres praticiens grâce à une liste remise. La défense décrit aussi un homme qui se serait fâché avec la secrétaire, et un précédent incident avec un autre patient. À l’entendre, le cabinet a fait ce qu’il devait, sans se fermer, mais en posant un cadre.
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En face, le plaignant invoque la souffrance au moment des faits et la prescription hospitalière qui, à ses yeux, légitimaient un simple renouvellement d’ordonnance. Pour lui, l’attente ou la recherche d’un autre créneau n’avaient pas de sens. Dans ce type de dossier, le débat ne se réduit pas à un « oui/non » médical : il touche à la relation de soin, au ton échangé, aux gestes et aux mots qui font qu’un rendez-vous passe, ou non, du cabinet à la discipline.
Crédit : Rhoda Baer / NCI
Des demandes d’argent et des principes : quand la procédure s’invite
La praticienne ne se limite pas à sa défense. Elle réclame au plaignant 1 000 € au titre de dommages et intérêts pour plainte abusive, ainsi que 3 000 € pour frais de justice. Ce n’est pas anodin : au-delà du fond médical, il y a la volonté d’obtenir une réparation pour une procédure jugée infondée et coûteuse. L’avocate de la généraliste martèle que l’on ne peut pas assimiler un refus motivé à un manquement ; et qu’au contraire, diriger un patient vers d’autres confrères quand la relation est détériorée s’inscrit dans une pratique responsable.
La ligne de la défense se lit en creux : liberté d’exercice, devoirs envers le patient, mais aussi droits du praticien face à des comportements jugés déplacés. Pour autant, la décision ne s’improvise pas : elle appartient à la chambre disciplinaire, seule à même de dire si l’équilibre a été respecté entre continuité des soins et appréciation clinique d’une situation non urgente.
Crédit : Harrison Keely – CC BY 4.0.
Et maintenant ? Une décision attendue, et une fin qui dévoile l’essentiel
L’affaire ne s’arrête pas à la porte de l’audience. La décision, mise en délibéré, doit tomber « dans les prochaines semaines ». Elle dira si le refus de la généraliste, adossé à l’idée qu’il n’y avait pas d’urgence, relève d’une appréciation clinique recevable… ou s’il constitue bien une faute. Elle dira aussi si la plainte du patient, jugée abusive par la défense, appelle ou non une indemnisation.
Dans ce type de contentieux, la temporalité compte : ce qui pouvait sembler un geste administratif – renouveler un mois de traitement – se révèle, en creux, une décision médicale prise dans un contexte tendu. Reste un point, gardé pour la toute fin parce qu’il résume tout : au jour de l’audience, le patient ne s’est pas présenté, tandis que la généraliste, elle, a formellement demandé 1 000 € pour plainte abusive et 3 000 € pour ses frais de justice, alors que la décision n’est pas encore rendue.