Trafics autour des compteurs Linky : comment un ex-agent a fait chuter la facture d’électricité de trois patrons
À Toulouse, des enquêteurs ont mis au jour un stratagème aussi simple que risqué autour des compteurs Linky. Au cœur du dossier, un ex-agent EDF qui aurait profité de ses connaissances techniques pour modifier des compteurs. Et faire baisser la facture d’électricité de trois chefs d’entreprise. Au total, l’ardoise évitée est évaluée à 50 000 euros. Ce qui en dit long sur l’ampleur des manœuvres et l’impact potentiel sur le réseau comme sur la concurrence.
Cette affaire n’a rien d’un petit arrangement. Elle met en lumière l’envers d’un système qui repose sur la confiance, la traçabilité et des règles d’accès strictes. Faire croire qu’une consommation n’a pas eu lieu, c’est déplacer la charge sur les autres usagers. Et fragiliser l’équilibre d’un marché déjà sous tension.
Une plainte d’Enedis à l’origine des vérifications
Tout commence par une plainte d’Enedis, gestionnaire du réseau public d’électricité. Des factures atypiquement basses pour des sociétés locales attirent l’attention. Les équipes techniques croisent alors des données de consommation, d’historique de relevés et d’intervention. Ces éléments déclenchent des contrôles ciblés qui finissent par faire émerger des incohérences répétées, toutes rattachées au même cercle d’entreprises.
Ce type de contrôle n’a rien d’exceptionnel. Les compteurs communicants remontent des informations qui permettent de détecter des anomalies de courbe de charge, des coupures de télé-information. Ou des réglages incohérents. Ce sont souvent ces signaux faibles qui conduisent à des inspections physiques. Puis à la judiciarisation des dossiers quand des manipulations sont soupçonnées.
Le profil d’un intermédiaire bien introduit
Rapidement, les policiers de la division de la criminalité territoriale identifient un homme de 45 ans, ancien salarié d’EDF. En contact étroit avec l’un des dirigeants concernés. Ce profil change la donne. Il ne s’agit plus d’un bricoleur isolé. Mais d’un intermédiaire familier des normes et des matériels. Capable de repérer exactement où intervenir pour obtenir un résultat immédiat sur la consommation apparente.
Ce point est capital. Les fraudes les plus lucratives sont souvent discrètes, répétées et calibrées pour imiter des variations normales. Elles ne consistent pas forcément à casser un scellé ou forcer un capot, mais à jouer sur des paramètres qui ne sautent pas aux yeux d’un non-initié. C’est précisément ce qui rend ces dossiers difficiles à repérer… jusqu’à ce que les chiffres ne collent plus.
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Un gain financier rapide, un risque pénal bien réel
Selon les éléments recueillis lors de la garde à vue, l’ex-agent a reconnu avoir procédé à des « arrangements » sur les compteurs. En échange, il dit avoir été rémunéré en liquide. Le mécanisme aurait réduit jusqu’à 75 % la consommation affichée par les entreprises, ce qui a mécaniquement allégé leurs factures et créé une distorsion de concurrence avec les acteurs respectant la loi.
Sur le plan pénal, la manipulation d’un compteur n’est pas une peccadille. Elle expose à des poursuites pour fraude, recel éventuel et détérioration de dispositif de mesure, sans compter les demandes d’indemnisation pour le préjudice chiffré par l’exploitant du réseau ou par les fournisseurs. Les entreprises bénéficiaires ne peuvent pas non plus se retrancher derrière l’ignorance si la baisse soudaine des coûts ne s’explique par aucune amélioration énergétique ou changement d’activité.
Pourquoi certains passent encore à l’acte avec Linky
On présente souvent le Linky comme plus sûr que les anciens compteurs, et c’est globalement vrai. Le boîtier est scellé, les échanges sont cryptés et chaque intervention est horodatée. Pourtant, l’ingénierie sociale et la connaissance interne restent des vecteurs puissants. Un ex-professionnel qui connaît les procédures, les plages de maintenance et la logique de certains réglages possède un avantage indéniable pour contourner le contrôle visuel.
Il existe aussi un biais psychologique. Quand l’électricité coûte plus cher, certains se persuadent que « tout le monde triche un peu » et que l’impact est minime. En réalité, à grande échelle, la fraude alourdit la facture collective et impose aux opérateurs d’augmenter les contrôles, donc les coûts. Elle dégrade la confiance envers le dispositif et finit par retomber sur… le portefeuille des usagers honnêtes.
Crédit : Benoît Prieur — CC BY-SA 4.0.
Comment les opérateurs traquent les anomalies
La lutte contre ces pratiques s’appuie sur des algorithmes de détection qui scrutent des milliers de courbes en temps réel. Une baisse soudaine et permanente, l’absence d’écarts entre périodes heures pleines/heures creuses, un profil de consommation incompatible avec l’activité déclarée, autant de signaux qui déclenchent des enquêtes. Les interventions terrain vérifient ensuite l’intégrité matérielle du compteur, des scellés et des organes de coupure.
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Dans les cas les plus aboutis, les opérateurs croisent aussi des données extérieures : production photovoltaïque, puissance souscrite, horaires d’ouverture, parc de machines. De quoi confirmer ou infirmer l’hypothèse d’une fraude organisée. C’est ce maillage qui a fini par faire tomber le dispositif toulousain.
Des entreprises exposées à des suites administratives et judiciaires
Pour les chefs d’entreprise, les suites peuvent être lourdes. Outre le rappel de facturation basé sur une estimation réaliste de la consommation, des pénalités s’ajoutent, ainsi que d’éventuels frais d’intervention. L’image de marque peut être durablement ternie, surtout dans des secteurs où la confiance et le respect des règles sont essentiels.
Les assureurs sont rarement enclins à couvrir de tels risques. Et en cas de condamnation, la responsabilité du dirigeant peut être engagée à titre personnel s’il est démontré qu’il a validé la manœuvre ou sciemment profité de ses effets.
Ce que cette affaire dit du climat énergétique actuel
L’épisode toulousain intervient dans un contexte où la question de l’électricité occupe tous les esprits. Entre heures creuses réaménagées, ajustements tarifaires, nouveaux frais liés au Linky pour certains usagers et débats sur l’équité du système, la tentation de « gratter » quelques kWh peut gagner du terrain. Méfiance pourtant : les contrôles se durcissent, les outils de détection progressent, et les sanctions suivent.
Sur le terrain, Enedis multiplie les actions pour débusquer les fraudes et sécuriser les installations, avec des équipes assermentées et des campagnes de sensibilisation. Dans le même temps, des décisions de justice et des retours d’expérience sur Linky alimentent l’actualité, entre protections des consommateurs et responsabilités des usagers.
Sur ces sujets, Le Tribunal du Net a publié plusieurs analyses et actualités utiles en 2025, notamment sur les heures creuses qui vont passer en partie en journée dès novembre, sur les mauvais réglages de puissance qui peuvent faire grimper la facture, sur les changements du 10 juillet autour des plages tarifaires, ou encore sur la chasse à la fraude et les contrôles contestés par certains clients.
Les aveux, la procédure, et la suite
Dans ce dossier précis, l’ex-agent a reconnu les manipulations lors de sa garde à vue et expliqué avoir perçu des paiements en liquide. Présenté au parquet dans le cadre d’un « plaider coupable », il devrait connaître rapidement l’issue judiciaire proposée, tandis que les dirigeants concernés, remis en liberté, sont convoqués devant un délégué du procureur. La révélation majeure, c’est que la baisse de 75 % de la consommation affichée à l’aide d’un ancien employé d’EDF aurait permis d’économiser près de 50 000 € à trois entreprises toulousaines… jusqu’à ce qu’Enedis s’en aperçoive et déclenche l’enquête.
- 01/10/2025 à 10:52Quand on voit le prix de l’électricité, injustifié car on fournit plus de courant qu’on en consomme ( éoliennes, barrages hydroélectriques, panneaux solaires, et centrales nucléaires) le surplus est apparemment donné à entre autres l’Allemagne, donc rien d’étonnant
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