« J’ai le droit de garder l’argent » : il encaisse par erreur 74 000 € au lieu d’une prime de 500 € et refuse de rembourser
Un salarié russe a reçu sur son compte 74 000 € au lieu d’une prime de 500 €. Persuadé qu’il pouvait conserver la somme, il a décliné les demandes de restitution de son employeur.
Trois ans plus tard, l’affaire s’est invitée devant la Cour suprême russe. Avec un risque de remboursement intégral. Et de lourdes conséquences pénales.
Une « prime » à 74 000 € tombée du ciel… et un silence qui coûte cher
Le virement est arrivé un jour ordinaire. En consultant son compte, Vladimir Rychagov découvre un crédit de 7 millions de roubles (environ 74 000 €). Là où il attendait 500 €. L’erreur n’était pas anodine : d’après le tabloïd The Sun, la somme correspondait en réalité aux salaires d’une trentaine d’employés d’une autre filiale. Envoyés par mégarde vers son compte. Plutôt que d’alerter, il laisse la comptabilité venir à lui.
Contacté très vite pour rendre l’argent, il refuse. Il affirme « avoir le droit de garder » cette somme et propose un troc improbable. Conserver les 74 000 € contre une baisse de salaire de 20 %.
Marché immédiatement rejeté par l’entreprise. L’homme s’était entre-temps convaincu, en lisant des forums en ligne. Que si l’origine de l’erreur était « technique », le bénéficiaire n’était pas tenu de rembourser. À un média local (M24), il expliquera plus tard : « J’ai appris qu’il s’agissait d’une erreur technique, donc j’ai conclu que j’avais le droit de garder l’argent. »
Crédit : Maxim Atayants (CC BY-SA 4.0)
Plainte, comptes gelés, accusation de fraude puis revirement
L’employeur porte plainte. Les comptes du salarié sont gelés. Une accusation de fraude est un temps évoquée avant d’être écartée faute de preuves. Au civil, le tribunal de première instance tranche cependant en faveur de l’entreprise. Il ne s’agit pas d’un salaire. Mais d’un virement erroné, donc restituable.
Cette distinction est la clé du dossier. Ce qui relève d’une rémunération due n’obéit pas aux mêmes règles qu’une somme versée par méprise.
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Le salarié fait appel. L’affaire remonte jusqu’à la Cour suprême. Et le couperet pourrait tomber : si la première décision est confirmée, Vladimir Rychagov serait contraint de rembourser la totalité des 74 000 €, avec à la clé un risque pénal qui pourrait aller jusqu’à dix ans de prison selon la qualification retenue par la justice russe. Une perspective radicalement différente de la croyance initiale née de lectures sur des forums.
Crédit : Moreorless (CC BY-SA 3.0)
Pourquoi l’argument « bug technique » ne tient pas en justice
Les débats ont révélé un point essentiel : la cause de l’erreur (mauvaise filiale, dysfonctionnement ou saisie mal contrôlée) importe moins que sa nature. Ce virement ne rémunérait pas un travail fourni par Vladimir Rychagov ; il correspondait, selon The Sun, aux salaires d’autres personnes.
Autrement dit, la somme ne lui était pas due. Dans ce cadre, l’argument « je n’ai rien demandé », souvent brandi sur Internet, se heurte aux principes les plus classiques du droit des obligations : on ne s’enrichit pas d’un paiement indu sans s’exposer à une restitution.
Ce qui a aussi pesé : le refus répété de rembourser malgré les sollicitations du service comptable. La tentative d’échange (garder l’argent contre une réduction de salaire) a renforcé l’idée d’un maintien volontaire d’une somme reçue à tort, plutôt que d’une simple inattention passagère.
Dans les contentieux de ce type, ces comportements pèsent lourd sur la bonne foi du bénéficiaire, que la justice examine minutieusement.
Crédit : Maxim Atayants (CC BY-SA 4.0)
Ce que change le passage devant la Cour suprême
La Cour suprême ne refait pas toute l’instruction : elle vérifie d’abord la bonne application du droit. Or le premier jugement a affirmé clairement que le virement litigieux n’était pas un salaire, mais un paiement erroné. Si cette lecture est confirmée, l’issue ressemblera à une addition salée : restitution intégrale des 74 000 €, intérêts et frais éventuels, et, selon la qualification pénale que retiendrait la justice russe, une peine pouvant aller jusqu’à dix ans.
Ce n’est pas tant le montant qui interpelle la Cour suprême que le principe : en entreprise, les flux de trésorerie irriguent la paie de centaines de personnes. Un dysfonctionnement ponctuel ne confère pas un droit d’appropriation à celui qui en bénéficie par hasard. Et ce rappel vaut au-delà de la Russie : « Mais saviez-vous que » des législations très différentes convergent, sur ce point, vers un même réflexe juridique : restituer.
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Crédit : David Osipov (CC BY 4.0)
Rappel utile : que prévoit le droit français quand on reçoit un virement par erreur ?
En France, la règle est limpide : « Ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution ». C’est la logique du paiement de l’indu (articles 1302 et s. du Code civil). Si vous percevez un virement qui ne vous était pas destiné ou pas dû, l’émetteur peut en demander la restitution. Le bénéficiaire doit rendre ce qu’il a indûment perçu, même s’il n’a commis aucune faute.
Deux précisions pratiques font souvent la différence. D’abord, si vous avez dépensé la somme par erreur excusable, la restitution peut se négocier (délais, échelonnement), mais l’obligation de rendre demeure en principe.
Ensuite, le volet pénal n’entre en jeu que si l’on constate des manœuvres frauduleuses (par exemple, organiser des retraits en connaissance de cause pour soustraire l’argent). À défaut de fraude, on reste sur le terrain civil : on rend l’argent, point.
Autrement dit : en France comme ailleurs, l’idée que l’on pourrait « garder » un virement parce qu’il provient d’un bug ou d’une erreur technique relève plus du mythe que du droit.
La meilleure attitude, en cas de crédit inexpliqué, reste d’avertir immédiatement sa banque et l’émetteur, pour documenter sa bonne foi. Ce détail que peu de gens connaissent : signaler l’erreur très vite protège souvent mieux que n’importe quel argument exhumé d’un forum.
Crédit : Maxim Atayants (CC BY-SA 4.0)
Au-delà du cas personnel, la question de la confiance salariale
L’affaire illustre une tension contemporaine : dans de grands groupes, la chaîne de paie est industrialisée, les filiales s’additionnent, les flux s’entrecroisent. Une erreur peut se produire, mais la confiance s’entretient quand chacun joue son rôle : comptabilité qui corrige sans délai, salariés qui signalent et restituent.
Le geste contraire — garder une somme qui ne nous était pas due — entame cette confiance et judiciarise un simple incident administratif.
Dans le cas de Vladimir Rychagov, la chronologie pèse lourd : refus de rembourser, négociation avortée, plainte, gel des comptes, première décision défavorable, appel puis Cour suprême.
Trois années pour ce qui, avec un appel et un virement retour, aurait pu se régler en quelques jours. Et la révélation finale est d’une simplicité désarmante : loin des croyances glanées sur la toile, c’est la qualification du virement — salaire dû ou erreur — qui, in fine, décide de tout.