« La rue des kebabs » : un maire prend une décision radicale contre les fast-foods
À Fère-en-Tardenois, petite commune de l’Aisne d’environ 3 000 habitants, la restauration rapide fait désormais partie intégrante du paysage commercial. Burgers, tacos, pizzas, kebabs… l’offre s’est développée à grande vitesse, jusqu’à représenter six fast-foods sur sept restaurants.
Ce basculement, très visible dans le centre, réveille les interrogations sur l’équilibre économique local et sur l’image que renvoie la ville.
Une petite ville où la restauration rapide a pris le dessus
Dans ce bourg des Hauts-de-France, la pause déjeuner se joue souvent au pas de course. Pour nombre d’actifs, le choix est vite fait: un sandwich chaud, un tacos garni, une part de pizza, et on repart. La facilité du comptoir, l’amplitude d’ouverture et des tarifs accessibles ont fait prospérer ce mode de restauration. Résultat, sur les sept adresses de bouche que compte la commune, six sont des fast-foods.
Cette prédominance saute aux yeux en arpentant l’artère principale. Aux heures de pointe, les enseignes lumineuses attirent une clientèle variée. Des collégiens qui grignotent sur le pouce, des ouvriers qui s’arrêtent entre deux chantiers, des familles pressées qui optent pour la solution la plus simple. La restauration rapide s’est imposée par son côté pratique, réactif, immédiat.
« La rue des kebabs » : le maire alerte sur l’image de la ville
Ce glissement ne laisse pas Jean-Paul Roseleux, le maire (DVD) de Fère-en-Tardenois, indifférent. L’élu dit son inquiétude pour l’activité locale autant que pour l’esthétique du centre. Il redoute une spirale où la multiplication des fast-foods fragilise les quelques acteurs traditionnels capables d’offrir un autre tempo, une autre expérience, et une autre valeur ajoutée au territoire.
Avec des mots simples, il résume sa crainte: la rue principale « c’est devenu la rue des kebabs ». Une formule qui n’attaque pas un type de cuisine, mais qui interroge l’uniformisation de l’offre. L’enjeu, selon lui, n’est ni de stigmatiser ni d’opposer, mais de préserver un équilibre commercial et une image de ville qui donne envie de se promener, de s’attabler, de découvrir.
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Entre rapidité et budget, des habitants partagés
Dans la vie quotidienne, chacun arbitre entre temps, goût et budget. Une jeune cliente attablée en terrasse d’un kebab résume l’attrait de cette option: un menu complet à 8 €, servi en une demi-heure, pratique pour la pause de midi. Pour les bourses serrées, difficile de trouver un rapport quantité-prix équivalent en cuisine familiale, surtout quand la journée file et que la cuisine attendra le soir.
D’autres habitants affichent une préférence différente. Une Féroise confie qu’elle n’est « pas trop cliente » de ce genre de restauration. Elle recherche plutôt un déjeuner plus calme, assis, équilibré, qui laisse le temps de souffler au milieu d’une journée bien remplie. Ces sensibilités coexistent, parfois au sein d’une même famille, et disent la diversité des attentes alimentaires dans une petite ville.
Le contre-exemple du « fait maison » : l’essor du Local
Face à la vague de restauration rapide, un restaurant traditionnel s’est fait une place: Le Local. Ouvert il y a moins d’un an, l’établissement était attendu. Son gérant et chef, Jean-Baptiste Mezzarobba, a fait un choix clair: travailler des produits frais et locaux, collaborer avec des petites entreprises du secteur, jouer la proximité et la saisonnalité.
Ici, on prend le temps de cuisiner, et les clients prennent le temps de s’attabler. Le pari semble trouver son public. Le restaurateur constate une vraie demande pour ce type de cuisine, preuve qu’aimer bien manger, manger local et se poser tranquillement n’a rien perdu de son attrait. Dans le paysage culinaire de Fère-en-Tardenois, cette adresse incarne une voie complémentaire à la restauration rapide.
Économie locale : la question de l’équilibre
Derrière les assiettes se jouent des enjeux économiques concrets. Quand un même segment de restauration rapide sature la rue principale, il capte une large part de la dépense locale et peut rendre la diversification plus difficile. Les marges, la rotation des tables, l’investissement initial ou la dépendance aux plateformes ne se conçoivent pas de la même manière entre fast-food et cuisine maison.
Le maire redoute qu’en l’absence de régulation, certains commerces peinent à maintenir leur chiffre d’affaires. Moins de variété, c’est moins de raisons de flâner et de s’arrêter, donc moins de retombées pour l’ensemble des acteurs du centre. À terme, c’est l’attractivité de la commune qui se joue, et l’image qu’elle renvoie aux visiteurs de passage.
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Habitudes, santé, sociabilité : ce que raconte une assiette avalée vite
Il serait tentant d’opposer frontalement malbouffe et cuisine locale. La réalité est plus nuancée. Les fast-foods répondent à des contraintes de temps et de budget qui pèsent sur beaucoup de foyers. Leur succès dit quelque chose de vies accélérées, de trajets pendulaires, d’emplois du temps éclatés. À l’inverse, le repas posé redevient un moment social, une parenthèse qui compte autant que le contenu de l’assiette.
Dans une petite commune, ces arbitrages n’ont rien d’abstrait. Ils influencent la fréquentation des rues, la vitalité des terrasses, la diversité des façades et le nombre de rideaux qui restent levés. La question n’est donc pas de trancher le débat culinaire par principe, mais d’imaginer une cohabitation qui évite la monoculture commerciale.
Fère-en-Tardenois, un miroir d’une tendance plus large
Ce qui se joue ici n’est pas isolé. « Les fast-foods fleurissent de plus en plus dans les centres-villes », c’est un constat largement partagé. Dans les Hauts-de-France comme ailleurs, les centres-bourgs cherchent un modèle qui conjugue accessibilité, qualité et plaisir. La crainte d’une banalisation esthétique — mêmes enseignes, mêmes vitrines, mêmes habitudes — anime autant les élus que les habitants attachés à leur cadre de vie.
À Fère-en-Tardenois, cette tension est simplement plus visible parce qu’elle se lit en vitrine, au ratio sans appel de six établissements de restauration rapide pour sept restaurants au total. D’un côté, l’efficacité et les prix contenus. De l’autre, la valeur ajoutée d’une cuisine maison, d’une table où l’on prend le temps. Entre les deux, l’équilibre d’une petite économie locale.
Ce que veulent les habitants : du choix, du rythme et du sens
Les témoignages locaux dessinent une boussole claire. Oui, les menus à 8 € et le service en trente minutes répondent à un besoin réel. Oui aussi, il existe une clientèle prête à soutenir des restaurants traditionnels travaillant le frais, parce qu’ils créent de l’emploi local, irriguent un réseau de producteurs et donnent une identité culinaire à la ville.
Au fond, les habitants demandent surtout du choix. Pouvoir avaler quelque chose de rapide quand la journée s’emballe, mais aussi retrouver, à quelques pas, une table où l’on cuisine et où l’on se pose. Dans une commune de 3 000 habitants, ce pluralisme n’a rien d’un luxe: c’est un levier d’attractivité. Et si l’on veut éviter que la rue principale ne devienne qu’une rue des kebabs, il faut créer les conditions de ce pluralisme.
Le temps de l’action… et du contrôle
Au-delà des constats et des petites phrases, Jean-Paul Roseleux a choisi de passer à l’action. L’élu a signé un arrêté municipal qui interdit toute nouvelle implantation de fast-foods dans la commune. La mesure, qui entend freiner la course à la restauration rapide et favoriser l’installation d’adresses comme Le Local, est désormais entre les mains de la préfecture. C’est elle qui examine la validité de l’arrêté et décidera de son maintien… ou non.