Après IKKS, Naf Naf et Camaïeu, cette autre marque historique baisse le rideau : « C’est une déception »
Alors que la crise du prêt-à-porter continue de frapper la France, les annonces de fermeture s’enchaînent. Après Camaïeu, Naf Naf ou encore IKKS, une autre enseigne bien connue des clientes vient de tirer définitivement le rideau au Mans.
Derrière cette disparition, il y a des années de turbulences, une gérante à bout… et un contexte où la fast fashion et des acteurs comme Shein prennent de plus en plus de place.
Une nouvelle victime dans la crise du prêt-à-porter français
Depuis plusieurs années, le prêt-à-porter français enchaîne les mauvaises nouvelles. Plans sociaux, fermeture de magasins, placements en redressement judiciaire… Les enseignes qui ont accompagné des générations de clientes disparaissent peu à peu. En 2022, Camaïeu fermait ainsi définitivement ses portes, laissant environ 2 000 salariés sur le carreau.
Pour de nombreux consommateurs, cette fermeture avait été un choc. Camaïeu faisait partie de ces enseignes historiques présentes dans la plupart des centres commerciaux, symbole d’une mode accessible et familière. Mais derrière la vitrine, les difficultés financières s’accumulaient depuis longtemps. La liquidation avait mis brutalement fin à cette histoire, tout en donnant l’alerte sur l’ampleur de la crise.
Ce qui frappe aujourd’hui, c’est que, trois ans plus tard, la situation ne s’est pas améliorée. Au contraire. D’autres noms bien connus – Naf Naf, IKKS, One Step – se retrouvent à leur tour pris dans cette tempête. Et chaque fermeture raconte les mêmes mécaniques : baisse de fréquentation, explosion des coûts, commerce en ligne omniprésent, concurrence féroce des géants de la fast fashion.
De Camaïeu à Celio : une marque disparaît, une autre en profite
Dans le cas de Camaïeu, l’histoire ne s’est pourtant pas complètement arrêtée à la liquidation. Contre toute attente, le groupe Celio a racheté la marque, mais pas son réseau de boutiques. Il a acquis uniquement le nom Camaïeu, lors d’une vente aux enchères, pour quelques milliers d’euros. L’idée affichée par son président, Sébastien Bismuth, était claire : relancer, au sein de Celio, une ligne destinée aux femmes.
Ce rachat ciblé illustre bien la nouvelle logique du secteur. Plutôt que de reprendre un réseau lourd, coûteux et souvent mal situé, certains groupes préfèrent capitaliser sur une image ou un logo encore très forts dans l’esprit du public. Les boutiques physiques, elles, restent fermées, tandis que la nouvelle offre se déploie via le web, quelques corners ou des magasins déjà existants.
Pour les anciennes clientes comme pour les ex-salariés, le contraste est saisissant. La marque survit, mais plus du tout sous la même forme. Et c’est un schéma que l’on retrouve de plus en plus souvent : le nom continue d’exister, mais l’enseigne de quartier, elle, disparaît. Un détail que peu de gens mesurent, mais qui change profondément le visage des magasins de centre-ville.
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IKKS sous surveillance, Naf Naf au bord du gouffre
Autre enseigne emblématique en difficulté : IKKS. Créée en 1987, la griffe n’est pas épargnée par les turbulences actuelles. Depuis plusieurs années, elle bataille pour redresser ses comptes. Un plan de sauvegarde de l’emploi a déjà été négocié, accompagné d’un effacement partiel de la dette et d’un nouvel apport de liquidités de la part des investisseurs.
Malgré ces efforts, le tribunal des activités économiques de Paris a finalement décidé d’ouvrir une procédure de redressement judiciaire, assortie d’une période d’observation courant jusqu’en avril 2026. Concrètement, cela signifie que l’entreprise est placée sous étroite surveillance, le temps de trouver un plan crédible de poursuite d’activité ou un repreneur. Pour les équipes, l’incertitude est totale et les postes sont clairement menacés.
Naf Naf, autre marque culte des années 1990, n’a pas eu cette « chance ». Placée elle aussi en grande difficulté, la griffe a été mise en redressement judiciaire et son avenir s’est joué devant le tribunal de commerce de Bobigny. Plusieurs offres de reprise partielle avaient été déposées, nourrissant un dernier espoir de sauver une partie du réseau et des emplois.
Mais cet été, le couperet est tombé. Faute de solution suffisamment solide, Naf Naf a été placée en liquidation judiciaire. Résultat : les boutiques ferment désormais les unes après les autres partout en France. Là encore, ce sont des vendeuses, des responsables de magasin, des équipes parfois installées depuis des décennies dans le même quartier qui se retrouvent brutalement sans travail. Et pour les clientes, un repère de plus qui disparaît de leur parcours shopping habituel.
Au Mans, One Step tire définitivement le rideau
C’est dans ce contexte déjà morose qu’une autre enseigne s’est éteinte discrètement, cette fois au Mans. Comme l’a rapporté Ouest-France, la boutique One Step, installée en plein centre-ville depuis une quinzaine d’années, a baissé définitivement son rideau le 1ᵉʳ novembre 2025. Pour les habitués de la rue commerçante, l’annonce a eu l’effet d’un petit séisme local.
La gérante, qui avait repris la boutique il y a sept ans, parle sans détour d’« une déception ». Derrière ces mots, il y a surtout la fatigue d’avoir encaissé, année après année, ce qu’elle décrit comme « un enchaînement de plusieurs choses » : le mouvement des gilets jaunes, qui a fortement perturbé l’activité commerciale, la pandémie de Covid-19, qui a vidé les rues et imposé des fermetures administratives, puis les travaux urbains et multiples chantiers dans le secteur, rendant l’accès au magasin de plus en plus compliqué.
Pour beaucoup de commerçants indépendants, ce trio est devenu un scénario bien connu. D’abord la crise sociale, qui décourage une partie de la clientèle de se déplacer en centre-ville. Puis la crise sanitaire, qui accélère brutalement le basculement vers les achats en ligne. Enfin, les travaux successifs, parfois longs et mal coordonnés, qui finissent de décourager les derniers clients fidèles.
Un point important, souligné par la gérante, est que cette fermeture n’a « rien à voir » avec le redressement judiciaire du groupe IKKS, auquel appartient pourtant la marque One Step. Sa décision relève d’abord de la réalité du terrain : une activité qui ne parvient plus à redémarrer, malgré la fidélité d’une partie de la clientèle. Un détail que peu de gens connaissent, tant il est facile de tout attribuer uniquement aux difficultés des grands groupes.
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Quand la fast fashion s’invite dans la bataille
Au-delà de ces crises successives, un autre acteur pèse lourd dans le quotidien des boutiques indépendantes : la fast fashion. Depuis plusieurs années, des plateformes comme Shein ont bouleversé les habitudes d’achat en proposant des prix très bas, des nouveautés quasi quotidiennes et une expérience 100 % en ligne pensée pour le smartphone.
Ce qui change aujourd’hui, c’est que ces géants numériques ne se contentent plus du web. Ils multiplient aussi les opérations physiques : corners dans de grands magasins, boutiques éphémères ou points de vente temporaires dans des lieux très fréquentés. Résultat, ils se retrouvent en concurrence frontale avec les boutiques de centre-ville… mais avec des moyens et une visibilité sans commune mesure.
Pour une petite enseigne de prêt-à-porter, comment rivaliser avec des collections renouvelées en permanence, produites à très grande échelle, et des campagnes massives sur les réseaux sociaux ? Les clientes, elles, voient les promotions défiler sur leur téléphone, peuvent commander en quelques clics, se faire livrer chez elles ou en point relais. Pendant ce temps, la boutique physique attend qu’on pousse la porte.
La popularité de l’ultra fast fashion et ses conséquences
Beaucoup de commerçants le constatent : les clientes viennent parfois essayer, regarder les matières, prendre des photos… puis achètent ensuite en ligne, souvent moins cher. Mais saviez-vous que certains détaillants parlent aujourd’hui de leurs magasins comme de simples « showrooms gratuits » pour les grandes plateformes ? Une réalité difficile à entendre pour celles et ceux qui paient un loyer, des charges et des salaires.
Dans ce contexte, voir un acteur de l’ultra fast fashion ouvrir des espaces physiques en France, alors que des enseignes locales ferment, renforce encore le sentiment d’injustice. D’un côté, des marques historiques qui licencient, ferment ou se retrouvent en liquidation. De l’autre, des plateformes comme plateformes comme Shein qui capitalisent sur une image « fun » et des prix cassés, malgré les polémiques récurrentes sur leurs pratiques.
Centres-villes fragilisés, clients déboussolés
La fermeture de One Step au Mans n’est donc pas un simple fait divers commercial. Elle s’inscrit dans une transformation beaucoup plus large des magasins de centre-ville. Chaque rideau qui se baisse, c’est un peu d’animation qui disparaît, un éclairage de vitrine en moins le soir, une occasion de flâner qui s’éteint.
Pour les clientes, l’effet est immédiat. On finit par se tourner davantage vers les zones commerciales de périphérie ou vers le commerce en ligne, faute de choix à proximité. Les centres-villes se vident, ce qui fragilise à son tour les cafés, les librairies, les salons de coiffure… Un cercle vicieux dont il est très difficile de sortir.
Au Mans, la gérante de One Step a tenu jusqu’au bout, malgré les crises successives. Mais entre la baisse de fréquentation, l’impact durable du Covid, les chantiers et la concurrence des grandes enseignes comme des plateformes numériques, l’équation n’était plus tenable. Sa décision de fermer vient rappeler, de manière très concrète, ce que représente la crise du prêt-à-porter pour celles et ceux qui la vivent au quotidien.
Et pendant que cette boutique de proximité, installée depuis quinze ans en cœur de ville, met la clé sous la porte, des acteurs de la fast fashion continuent à se déployer, y compris dans des espaces physiques en France.
Que retenir ?
La véritable révélation, au fond, est là : aujourd’hui, une marque historique comme One Step disparaît du paysage manceau, non pas à cause d’un seul événement, mais parce qu’un modèle entier de commerce de vêtements est en train de se faire dépasser par de nouveaux géants mondialisés – dont Shein est probablement le visage le plus visible.