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Un géant amazonien repéré loin de ses eaux : la prise qui relance un débat au Brésil

Publié par Killian Ravon le 18 Déc 2025 à 14:35

Fin novembre, dans l’intérieur de l’État de São Paulo, une scène rare a captivé pêcheurs, riverains et autorités environnementales. Un poisson gigantesque, originaire du bassin amazonien, a suffi à remettre sur la table une question sensible.

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Pêcheur souriant à Cardoso (São Paulo) avec un pirarucu géant sur la rive, ruban de mesure visible et barques au fond.
Dans l’intérieur de São Paulo, la capture d’un pirarucu géant a ravivé le débat sur son expansion hors Amazonie.

Car derrière l’image spectaculaire, se cache un enjeu bien plus large, entre économie et équilibre des rivières.

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Arapaïma gigas vu de profil dans un aquarium, grand poisson amazonien aux écailles sombres et museau massif.
Un géant discret… jusqu’à ce qu’il apparaisse loin de ses eaux. Crédit « Quadell / Wikimedia Commons (CC BY-SA) »
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Un géant qui n’a rien d’un poisson ordinaire

Ce poisson s’appelle le pirarucu, connu scientifiquement sous le nom d’Arapaima gigas. Il figure parmi les plus grands poissons d’eau douce de la planète, capable de dépasser trois mètres de long et d’atteindre des poids impressionnants, jusqu’à 200 kilos. Rien que ces chiffres suffisent à expliquer pourquoi chaque capture, même dans son aire naturelle, attire l’attention.

Mais ce n’est pas seulement une histoire de taille. Le pirarucu est un carnivore, qui se nourrit principalement d’autres poissons, de crustacés et de petits animaux aquatiques. Dans son milieu, il occupe le sommet de la chaîne alimentaire, ce qui donne la mesure de son influence sur l’équilibre des eaux où il vit.

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Dans l’imaginaire collectif, il est aussi associé à l’Amazonie « profonde », celle des rivières larges, des eaux chaudes et des zones où la vie s’organise autour du fleuve. Alors quand le géant apparaît dans des régions qui ne font pas partie de son biome, la surprise laisse vite place à une question : comment a-t-il pu s’y installer, et avec quelles conséquences ?

Arapaïma gigas nage dans une eau verte, poisson géant amazonien au corps sombre et à la tête allongée.
« La silhouette du pirarucu ne laisse pas place au doute. », crédit « Cliff / Wikimedia Commons (CC BY 2.0) »

Le secret de sa survie : un « poumon » caché

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Si le pirarucu fascine autant, c’est aussi parce qu’il possède une capacité rare chez un poisson. Il peut respirer hors de l’eau, grâce à une adaptation anatomique qui ressemble presque à une astuce de la nature. Sa vessie natatoire est modifiée et fonctionne d’une manière comparable à un poumon, ce qui lui permet de survivre dans des milieux pauvres en oxygène.

Concrètement, cette particularité lui donne un avantage dans des conditions difficiles. Là où d’autres espèces peinent à tenir, lui peut continuer à vivre, même quand l’eau manque d’oxygène. Ce détail que peu de gens connaissent change beaucoup de choses, car il aide à comprendre sa résistance, mais aussi sa capacité à s’adapter à des environnements variés.

Et c’est précisément ce type d’adaptation qui inquiète les spécialistes lorsque le poisson est observé hors de son aire naturelle. Un animal robuste, prédateur, capable de supporter des conditions que d’autres n’endureront pas, peut s’implanter et prendre de la place. La question n’est plus seulement « est-il là ? », mais « que fait-il au reste du vivant autour de lui ? ».

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Deux arapaïmas gigas dans un aquarium, grands poissons amazoniens aux longues nageoires et écailles métalliques.
« À deux, l’effet « monstre des rivières » est encore plus saisissant. », crédit « T. Voekler / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

Un filet très convoité, bien au-delà de l’assiette

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L’autre facette du pirarucu est plus économique. Sa chair est décrite comme une chair noble, au goût délicat et presque dépourvue d’arêtes, ce qui la rend très recherchée. Au Brésil, il est populaire au point d’avoir gagné ce surnom de « bacalhau de l’Amazonie », notamment lorsqu’il est préparé séché et salé, ou servi en filets grillés.

Ce succès tient aussi à sa croissance rapide, à sa rusticité et à sa bonne adaptation à l’élevage en bassins. L’espèce supporte des densités de stockage élevées, ce qui renforce l’intérêt commercial, autant pour le marché intérieur que pour l’exportation. Autrement dit, on ne parle pas uniquement d’un poisson « rare », mais d’une ressource que certains voient comme stratégique.

Et l’exploitation ne s’arrête pas à la cuisine. Sa peau résistante est utilisée dans l’industrie de la mode pour fabriquer des accessoires à forte valeur ajoutée, comme des sacs, des ceintures ou des chaussures. Mais saviez-vous que ce cuir issu du pirarucu a déjà été associé à des pièces suffisamment prestigieuses pour être offertes à une personnalité de la famille royale britannique, comme Kate Middleton ? Ce détail illustre à quel point le poisson dépasse le cadre du simple produit alimentaire.

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Avec un animal aussi rentable, la tentation est forte de le déplacer, de l’élever, de l’introduire ailleurs. Et c’est là que l’histoire quitte le terrain du marché pour entrer dans celui de l’environnement.

Gros plan sur les écailles d’un arapaïma gigas, motifs épais et luisants typiques du « bacalhau de l’Amazonie
« Des écailles impressionnantes, à la hauteur de sa réputation. », crédit « T. Voekler / Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

Quand le « bacalhau de l’Amazonie » sort de sa zone

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La présence du pirarucu hors de l’Amazonie n’est plus un simple cas isolé. Des signalements existent dans des rivières d’au moins cinq États situés en dehors de son biome naturel, dont São Paulo, Bahia, le Minas Gerais et des zones du Pantanal, dans le Mato Grosso et le Mato Grosso do Sul. Pour de nombreux spécialistes, cette expansion suffit à le classer comme une espèce invasive dans ces régions.

Ce statut n’est pas anodin. Un prédateur puissant, sans prédateurs naturels locaux, peut déséquilibrer la faune. Il peut réduire les populations d’autres poissons, modifier les habitudes de reproduction, et transformer, petit à petit, la dynamique de l’écosystème. Le risque, c’est que la nouveauté devienne la norme, et qu’on se rende compte trop tard des effets en cascade.

Les autorités environnementales, elles, sont confrontées à un dilemme. D’un côté, la présence d’un poisson non natif inquiète. De l’autre, l’idée de le retirer peut être présentée comme une mesure « bénéfique » pour l’équilibre local. Selon la Police militaire environnementale, comme le pirarucu n’est pas une espèce native dans ces régions, il n’existe pas de limite de poids ou de quantité pour sa pêche, et son retrait est considéré comme favorable.

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Cette position s’explique par une logique simple : si l’animal s’installe et se reproduit, il pourrait devenir difficile à contrôler. Le problème, souligne l’institution, c’est précisément qu’il n’a pas de prédateurs naturels en dehors de l’Amazonie. Ajoutez à cela son caractère très prédateur, et vous obtenez un candidat parfait pour provoquer des déséquilibres rapides.

Dans ce contexte, une capture spectaculaire n’est plus seulement un récit de pêche. C’est un signal, qui pousse à se demander si le phénomène est ponctuel… ou s’il révèle une tendance plus profonde.

Arapaïma gigas face caméra dans un bassin, poisson d’eau douce géant avec reflets rouges et tête cuirassée.
« Quand il vous regarde, on comprend pourquoi il fascine. », crédit « Jeff Kubina / Wikimedia Commons (CC BY-SA 2.0)
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La prise qui a mis le feu aux discussions à São Paulo

Tout ce débat a été ravivé par un épisode très concret, survenu à la fin du mois de novembre dans l’intérieur de l’État de São Paulo. Sur la rivière Marinheiro, dans la commune de Cardoso, un pêcheur local a ferré un poisson dont les dimensions ont immédiatement frappé les témoins. L’animal mesurait environ 2,5 mètres et pesait 160 kilos, une taille considérée comme inhabituelle pour la région.

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Le pêcheur s’appelle Roberto do Carmo, âgé de 53 ans. Sa capture, largement partagée, a attiré l’attention des habitants comme des spécialistes, non seulement parce que le poisson est gigantesque, mais parce qu’il est amazonien.

Autrement dit, c’est bien un pirarucu – ce fameux « bacalhau de l’Amazonie » – qui a été sorti des eaux paulistes, au point de relancer tout le débat sur la pêche, l’extension hors biome et les impacts environnementaux.