En arrêt maladie depuis 16 ans, elle continue d’être payée… et attaque son employeur
Pendant seize ans, une enseignante allemande de biologie et de géographie est restée en arrêt maladie tout en percevant son salaire à 100 %. Officiellement rattachée au Berufskolleg de Wesel, près de Duisbourg, elle n’aurait plus remis les pieds dans l’établissement depuis août 2009. L’information, révélée par Bild, a fait l’effet d’une onde de choc, tant par sa durée que par l’ampleur des montants en jeu.
À l’origine, l’arrêt a été justifié par une affection chronique associée à des troubles psychologiques. D’année en année, les certificats ont été renouvelés sans interruption. En théorie, un contrôle par un médecin-expert aurait dû intervenir au bout de trois mois. Dans les faits, cette étape n’a jamais eu lieu. Le vide procédural qui s’est installé a permis à la situation de se prolonger seize ans durant, sans signal d’alarme.
Un établissement qui découvre… seize ans plus tard
Au fil du temps, l’enseignante s’est éclipsée de l’organigramme vivant du lycée. L’ancien directeur, arrivé en 2015, affirme ne l’avoir jamais croisée et ignorer qu’elle figurait encore dans l’équipe pédagogique. Ce n’est qu’à l’occasion d’un changement de direction en 2024 et d’un audit interne que l’anomalie a été repérée. Autrement dit, sans ce coup de projecteur administratif, l’affaire serait restée invisible.
La mécanique qui a conduit à un tel angle mort interroge. Comment un établissement peut-il perdre la trace d’une salariée officiellement affectée chez lui ? Comment des feuilles de paie ont-elles continué d’être émises sans vérification médicale indépendante ? Et comment un Land aussi structuré que la Rhénanie-du-Nord-Westphalie a-t-il pu laisser filer une telle non-conformité pendant aussi longtemps ? À chaque étape, la chaîne de contrôle semble avoir cédé.
Des salaires conséquents, des vérifications défaillantes
Selon Bild, la professeure aurait perçu entre 5 051 et 6 174 € par mois en fonction de la grille salariale allemande. Un niveau de rémunération sensiblement supérieur à celui de la moyenne française, ce qui explique en partie la stupeur suscitée par l’addition finale. Sur seize ans, même sans calcul détaillé, l’ordre de grandeur atteint des sommes particulièrement élevées.
Dans la vie privée, la presse allemande indique que l’enseignante posséderait deux appartements à Duisbourg. Le fait n’est pas répréhensible en soi, mais il nourrit les interrogations sur sa situation réelle, d’autant que des contenus en ligne renverraient à un cabinet de naturopathie portant ses nom et prénom. Si cette activité était avérée, la question deviendrait explosive : comment concilier l’incapacité à enseigner avec l’exercice d’un métier de praticien ? Pour l’heure, aucun lien formel n’est établi, mais le doute grandit.
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Le Land tape enfin du poing sur la table
Face à ce dossier qui s’enlise, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie a décidé de reprendre la main. Un examen médical indépendant a été ordonné afin d’évaluer l’état de santé de l’enseignante et de confirmer – ou non – la justification de l’arrêt au long cours. Interrogée par Bild, la ministre de l’Éducation, Dorothee Feller, a reconnu son désarroi : « J’ai beaucoup de questions… ». Une formule qui en dit long sur l’ampleur du raté institutionnel.
Dans un premier temps, l’intéressée a refusé de se soumettre à l’examen. Une bataille procédurale s’est engagée, avec des recours qui ont finalement été rejetés. Résultat : la visite médicale aura bien lieu. Reste une inconnue : même si l’expertise concluait à une capacité de reprise (totale ou partielle), la récupération de seize ans de salaires apparaît hautement improbable. En droit, il faudrait prouver une fraude ou une déclaration mensongère sur la santé, ce qui s’annonce complexe après un laps de temps aussi long.
Une faille structurelle plus qu’un « cas isolé » ?
Ce dossier met en lumière un problème plus large que la seule responsabilité individuelle. Il pointe une faille structurelle : l’absence de contrôles réguliers, le suivi décorrélé entre l’employeur et les instances médicales, et une culture administrative qui se repose sur la routine. Le processus a fonctionné comme une boîte noire : tant qu’un document était déposé et conforme en apparence, il passait, sans contre-expertise ni alerte.
Le changement de direction a servi d’électrochoc. En quelques semaines, un audit interne a mis à nu ce que personne n’avait voulu ou su voir. On peut y lire une leçon pour d’autres établissements : vérifier systématiquement les situations anciennes, croiser les données RH avec les affectations réelles, imposer un rythme de contre-visites strict et tracé. Car une incongruité qui dure seize ans n’est plus un accident : c’est un signal sur l’architecture même du contrôle.
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Le point de friction qui pourrait tout faire basculer
L’hypothèse d’une activité de naturopathe demeure le nerf sensible de l’affaire. Si l’identité numérique renvoyant à ce cabinet est confirmée comme étant celle de l’enseignante, l’argument d’une incapacité professionnelle deviendrait difficile à soutenir. L’examen médical à venir pourrait alors se retrouver au centre du dossier, susceptible d’orienter la suite : réaffectation, aménagement, ou contentieux plus profond.
Dans tout scénario, la question du remboursement est épineuse. En l’absence de démonstration d’une fraude intentionnelle, le droit pourrait bloquer toute récupération rétroactive des montants versés. Les autorités devront donc marcher sur une ligne étroite : redresser la situation actuelle sans s’effondrer dans un marécage judiciaire interminable.
Ce que révèle l’affaire sur la confiance et la transparence
Au-delà des chiffres, c’est la confiance qui est en jeu : confiance des contribuables dans le sérieux des dépenses publiques, confiance des collègues dans l’équité de traitement, confiance des usagers du service public dans la probité des institutions. Un système qui laisse passer une telle suspension de réalité pendant seize ans fragilise cette confiance-là.
La suite dépendra de la transparence mise en œuvre : publication claire des conclusions médicales, traçabilité des décisions, éventuelle communication sur les mesures correctives pour éviter qu’un tel cas se reproduise. À défaut, la perception d’un deux poids deux mesures s’ancrera, avec les dégâts politiques et sociaux que l’on imagine.
Et maintenant ?
L’enseignante, rappelons-le, était employée par la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. C’est donc le Land qui conduit désormais la procédure. L’examen imposé devrait fournir une photographie à jour de sa santé et de ses capacités éventuelles. Si l’activité extérieure soupçonnée venait à être documentée, l’administration pourrait s’en saisir pour réévaluer la légalité de la situation passée et réorganiser la suite de carrière, si carrière il y a encore.
Jusqu’ici, l’affaire a été marquée par des refus, des recours, des retards, puis une remise en ordre tardive des contrôles. Le dossier, qui aurait dû être technique et cadencé, est devenu emblématique d’un dysfonctionnement. Et la dernière pièce du puzzle ne fait que souligner ce renversement inattendu : après avoir perçu seize ans de salaires à 100 % sans enseigner, l’enseignante a décidé de poursuivre son employeur en justice.