IPTV : pourquoi l’Arcom prépare une riposte inédite en France
L’Arcom hausse sérieusement le ton. Face à l’explosion de l’IPTV et du piratage des matchs de foot. Le régulateur vient de présenter un rapport très offensif aux députés.
Derrière les grandes déclarations, un objectif se dessine : rendre la vie beaucoup plus compliquée aux pirates… Et, peut-être demain, à ceux qui consomment ces offres.
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Une « télé parallèle » qui prend une ampleur inquiétante
En quelques années, l’IPTV est passée du statut de curiosité technologique à celui de réflexe pour des millions d’internautes. Le principe est simple. Pour quelques dizaines d’euros par an. Ces abonnements proposent des milliers de chaînes, des films récents, des séries et surtout du sport en direct.
Selon les chiffres présentés par le régulateur. 11 % des internautes français y auraient déjà recours, dont les deux tiers se sont lancés. Au cours des trois dernières années. Autrement dit, la courbe est clairement ascendante. Ce détail que peu de gens connaissent. C’est que cette progression ne concerne pas seulement les jeunes technophiles. Tout un public, lassé des prix des offres classiques, se laisse tenter par ces bouquets alternatifs.
Pour l’État et les ayants droit, le réveil est brutal. Le rapport évoque 1,2 milliard d’euros de pertes pour le secteur audiovisuel. 290 millions d’euros pour le sport et environ 400 millions d’euros de recettes fiscales. Et sociales qui échappent aux caisses publiques. Derrière les discours très techniques, c’est bien ce manque à gagner qui a fini par déclencher l’alarme.
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Des outils de lutte complètement dépassés
Jusqu’ici, la lutte contre le streaming illégal reposait surtout sur des procédures classiques : saisir un juge, obtenir une décision. Transmettre l’ordonnance aux opérateurs, puis bloquer les sites pirates concernés. Sur le papier, le chemin est clair. Dans la réalité, il est beaucoup trop lent.
Le rapport de l’Arcom décrit une administration qui court après le temps réel sans jamais le rattraper. Le cas le plus flagrant concerne les matchs de Ligue 1 diffusés illégalement. Le temps de remplir les formulaires et d’obtenir les autorisations, le match est souvent déjà fini, voire le championnat suivant a commencé. Les pirates, eux, changent de nom de domaine ou de serveur en quelques minutes.
Résultat, les anciens outils, efficaces contre le « bon vieux téléchargement », ne suffisent plus. Les internautes ne stockent plus les contenus sur leur disque dur, ils les consomment en direct via des flux vidéo. Et c’est précisément cette logique de flux, ultra réactive, qui met à mal les moyens de contrôle actuels.
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Blocages automatisés : l’offensive technique de l’Arcom
Pour combler ce retard, le rapport propose un changement de braquet technologique. L’idée phare, déjà testée au Royaume-Uni ou en Italie, consiste à mettre en place un blocage automatisé des flux illicites, en particulier pour les retransmissions sportives.
Concrètement, il ne s’agirait plus de cibler un site après une longue procédure, mais de détecter directement les flux suspects et de les couper pendant le match. Le système fonctionnerait en temps quasi réel, sous la supervision du régulateur, sans validation manuelle pour chaque URL. C’est le type de mécanisme qui permettrait, sur le papier, de faire disparaître un stream illégal en quelques minutes au lieu de plusieurs heures.
Depuis janvier 2025, l’Arcom a déjà donné un aperçu de cette montée en puissance : 5 000 blocages ont été supervisés, soit la moitié de tout ce qui avait été ordonné depuis 2022. Le rythme s’accélère nettement. Mais pour le régulateur, ce n’est qu’une étape : les procédures doivent encore gagner en automatisation et en souplesse afin de suivre l’agilité des pirates.
VPN, DNS et influenceurs dans le viseur
Le rapport ne se contente pas de cibler les serveurs. Il s’attaque aussi aux outils qui permettent de contourner les blocages. Aujourd’hui, 66 % des consommateurs illicites utiliseraient un VPN ou un DNS alternatif pour continuer à accéder aux flux, même lorsqu’un site est officiellement bloqué.
L’Arcom a déjà commencé à mettre la pression sur les principaux fournisseurs de ces services, notamment dans le cadre du piratage sportif. À la demande de chaînes comme Canal+ ou beIN Sports, près de 300 plateformes de streaming sportif illégal ont été rendues inaccessibles via certains VPN, au moins sur le papier. C’est une première au niveau européen, qui ouvre la voie à un contrôle plus serré de ces intermédiaires.
Le régulateur souhaite même aller plus loin en interdisant purement et simplement la promotion de ces outils lorsqu’ils sont présentés comme des moyens de contourner la loi. Fini, donc, les placements de produit où un influenceur explique comment regarder le foot étranger « sans se ruiner », en guidant pas à pas vers un service d’abonnement IPTV.
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Cette orientation n’est pas sans critiques. Certains acteurs, comme NordVPN, estiment que l’on s’attaque davantage aux symptômes qu’à la source, c’est-à-dire aux hébergeurs de contenu. Et, de fait, l’histoire montre que les pirates trouvent très vite de nouvelles parades dès qu’un accès leur est fermé.
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Un arsenal judiciaire taillé pour le sport
Au-delà de la technique, le rapport insiste sur la nécessité de frapper plus vite et plus fort sur le terrain judiciaire. Pour l’instant, les responsables de plateformes illicites peuvent être poursuivis, mais souvent via des qualifications pénales assez générales, pas toujours adaptées à la réalité du piratage sportif.
L’Arcom propose donc la création d’un délit pénal spécifique, centré sur la diffusion illégale de contenus sportifs. L’objectif est double : simplifier les procédures et alourdir les sanctions. Dans le scénario présenté aux députés, les exploitants de sites et de services IPTV dédiés au sport pourraient risquer jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende.
Cette nouvelle infraction serait également pensée pour cibler les « sites miroirs », ces clones qui réapparaissent aussitôt qu’une plateforme principale est fermée. Grâce à des blocages dynamiques, les adresses de ces clones pourraient être ajoutées au fil de l’eau, sans relancer toute la machine judiciaire. En novembre 2025, une campagne de ce type aurait déjà visé 600 services IPTV sportifs en quelques jours, impliquant Orange, Free, SFR et Bouygues Telecom dans l’application des mesures techniques.
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Et les utilisateurs d’IPTV dans tout ça ?
Reste une question que beaucoup d’internautes se posent sans forcément l’avouer : qu’en est-il des simples abonnés ? Officiellement, le régulateur concentre ses efforts sur les « gros poissons », c’est-à-dire les revendeurs, les plateformes, les organisateurs de réseaux. Dans les faits, les utilisateurs finaux sont très rarement poursuivis individuellement.
Mais cela ne signifie pas qu’ils sont invisibles. Avec ses nouveaux outils, l’Arcom sera, à terme, mieux armée pour remonter la chaîne de diffusion, de l’abonné jusqu’au serveur. La perspective reste théorique pour l’instant, mais elle est clairement évoquée dans les débats autour du rapport.
L’exemple italien montre jusqu’où cette logique peut aller. Là-bas, le gouvernement envisage même de publier les noms des utilisateurs d’IPTV illégale, une sorte de « pilori numérique » qui fait énormément parler. La mesure choque autant qu’elle séduit une partie de l’opinion, soucieuse de défendre les droits télévisuels des clubs et des ligues.
En France, la ligne officielle reste plus prudente. Le pays privilégie pour l’instant une stratégie centrée sur les acteurs structurants du marché plutôt que sur chaque foyer abonné. Mais avec environ 9 millions d’abonnements estimés d’ici fin 2025, la tentation de frapper plus large pourrait grandir, surtout si le manque à gagner continue de se creuser.
C’est là que se joue un enjeu majeur, rarement formulé clairement : si l’arsenal technique et judiciaire se met vraiment en place, la « fin » de l’IPTV ne viendra peut-être pas des seuls blocages de serveurs, mais du jour où les autorités décideront d’assumer ouvertement la poursuite des utilisateurs eux-mêmes.