Obligé de célébrer un mariage impliquant un étranger sous OQTF, un maire démissionne
En Seine-et-Marne, un projet de mariage civil a fini par devenir un dossier explosif pour une petite commune.
Entre signalement au parquet, enquête, puis passage devant le juge, la mairie s’est retrouvée au cœur d’un bras de fer où chaque mot compte. Et un détail, en apparence administratif, a tout fait basculer.
Une alerte qui place la mairie sous tension
Tout commence au printemps. En mai 2025, la ville signale au parquet un projet d’union entre une ressortissante européenne et un homme visé par une OQTF. À ce stade, il ne s’agit pas encore d’une affaire publique, mais d’une démarche officielle dans un cadre très précis, celui de l’état civil.
Dans ce type de situation, l’inquiétude se cristallise vite autour d’un soupçon récurrent dans le débat public, celui d’un mariage blanc. La mairie estime alors nécessaire d’alerter l’autorité judiciaire, convaincue qu’il peut exister un risque de fraude.
Le dossier est transmis et une série de vérifications commence. Les échanges se font à bas bruit, mais l’enjeu est déjà sensible. D’un côté, une union déclarée. De l’autre, un contexte administratif qui, dans l’opinion, suffit parfois à jeter le doute.
L’enquête ne retient pas la fraude, et le parquet tranche
Les investigations menées dans les mois qui suivent ne vont pourtant pas dans le sens attendu par la commune. Le procureur de la République de Meaux, Jean-Baptiste Bladier, explique que l’enquête n’a pas permis de démontrer une intention frauduleuse.
Au contraire, le couple fournit plusieurs éléments visant à attester de la nature personnelle et amoureuse de la relation. Ce point est central, car il change la lecture du dossier. Là où certains imaginent une manœuvre, l’autorité judiciaire dit ne pas avoir trouvé de quoi étayer cette thèse.
Le 7 juillet, une décision de non-opposition est rendue. Concrètement, cela signifie que, côté parquet, rien ne justifie d’empêcher la célébration du mariage. Mais saviez-vous que ce genre de conclusion, même lorsqu’elle est motivée, ne suffit pas toujours à calmer la tension locale ?
À partir de là, la situation se rigidifie. Car une décision de non-opposition ne met pas fin au désaccord politique ou moral que peut ressentir un élu. Elle fixe surtout un cadre, et ce cadre devient difficile à contourner.
Les tentatives de conciliation se multiplient, sans apaiser la crise
Après le 7 juillet, le procureur indique avoir privilégié l’apaisement. Il évoque un choix de conciliation, en écrivant à plusieurs reprises au maire de Chessy, y compris deux fois à titre personnel.
Ce point montre que l’autorité judiciaire a cherché à éviter l’escalade. En coulisses, l’idée est simple : rappeler les obligations, écouter les positions, et tenter d’éviter un affrontement frontal qui pourrait se transformer en affaire nationale.
Mais le temps passe et rien ne se débloque. Le couple, lui, décide d’emprunter une autre voie. Une procédure de référé civil est engagée, ce qui change encore de dimension. On ne parle plus seulement d’échanges entre mairie et parquet, mais d’une demande explicite au juge.
Le 10 décembre 2025, la décision tombe : une ordonnance enjoint la mairie de procéder à la célébration du mariage. À partir de cet instant, il n’est plus question d’interprétation ou de temporisation. Une injonction judiciaire, par définition, appelle une exécution.
Convictions, OQTF non exécutée et fracture politique assumée
Face à la pression, le maire de Chessy, Olivier Bourjot, élu DVD, choisit de s’expliquer publiquement. Dans un communiqué daté de lundi, il dit vouloir rester fidèle à ses convictions.
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Il insiste sur un point : selon lui, parce qu’un préfet a pris une décision d’OQTF qui n’a pas été exécutée, la situation devient incompréhensible. Dans son raisonnement, l’État n’ayant pas éloigné la personne concernée, la conséquence retombe sur l’élu local, sommé d’agir comme si de rien n’était.
Le maire affirme également continuer de considérer que l’union est « insincère », malgré l’enquête. C’est là que le décalage devient maximal : d’un côté, le parquet affirme n’avoir pas démontré d’intention frauduleuse. De l’autre, l’élu maintient son appréciation.
Ce détail que peu de gens connaissent, c’est que le conflit n’est pas seulement juridique. Il est aussi symbolique, parce qu’il met en scène une question très politique : que peut, ou ne peut pas, faire un maire quand ses convictions entrent en collision avec une décision de justice ?
Le référé civil fait basculer le dossier dans l’urgence
Après la décision de non-opposition rendue le 7 juillet, la mairie ne change pas de posture. Le désaccord reste entier, malgré les éléments retenus par le parquet et les preuves présentées par le couple sur la dimension personnelle de la relation. À ce stade, l’affaire ressemble encore à un conflit qui peut s’étirer, se négocier, ou au moins se gérer à coups d’échanges officiels.
Mais le temps joue contre tout le monde. Le procureur explique avoir tenté la conciliation, en écrivant à plusieurs reprises au maire, y compris à titre personnel. Ce détail montre que l’objectif n’était pas seulement de rappeler une règle, mais d’éviter que le dossier ne se transforme en symbole politique.
De son côté, le couple choisit alors une voie beaucoup plus directe. Il initie une procédure de référé civil, qui change immédiatement la dynamique. Là où la mairie pouvait encore espérer gagner du temps, la démarche vise au contraire à obtenir une réponse rapide, claire, et applicable.
Le 10 décembre 2025, l’ordonnance tombe et elle ne laisse plus de place à l’ambiguïté : la mairie est enjointe de procéder à la célébration du mariage civil. En pratique, cela referme la parenthèse des discussions et fait entrer la commune dans un calendrier judiciaire, avec une pression qui n’est plus seulement politique ou médiatique, mais désormais strictement juridique.
C’est à partir de cette injonction que la tension atteint son point de rupture. Car une fois la justice saisie et la décision rendue, ce qui était encore un désaccord devient une obligation, et chaque geste de la mairie peut être relu à travers le prisme du respect – ou non – de la décision. Et c’est précisément là que tout se joue dans la dernière séquence.
Le procureur avertit sur un risque pénal… et la commune fait un choix radical
Mardi, le procureur de Meaux publie à son tour un communiqué. Il rappelle le cadre et prend acte de la décision qui vient d’être prise à Chessy. Mais il ajoute une mise au point lourde : l’opposition constante du maire depuis la décision de non-opposition est susceptible de caractériser une infraction pénale.
Autrement dit, même si l’élu quitte son poste, cela ne fait pas disparaître automatiquement la question de ce qui s’est passé avant. La phrase est claire, et elle agit comme un rappel : le débat politique ne neutralise pas, à lui seul, les obligations liées aux fonctions exercées.
En parallèle, un autre élément attire l’attention : le maire et ses adjoints expliquent que « sans officier d’état civil aucun mariage n’est possible ». C’est ce point, très concret, qui révèle la stratégie retenue pour faire face à l’ordonnance du 10 décembre.
Et c’est seulement à ce moment-là que la commune bascule dans le geste le plus spectaculaire de toute l’affaire : pour ne pas avoir à célébrer ce mariage imposé par la justice, Olivier Bourjot et ses adjoints ont démissionné de leurs fonctions, tout en restant membres du conseil municipal.