Ce célèbre plat maghrébin va t-il être interdit en France en 2026 ?
Depuis début novembre 2025, une rumeur enflamme les réseaux sociaux : la mloukhya serait « interdite dès 2026 » en France, sur décision de Bruno Retailleau.
La vidéo virale citée par des milliers d’internautes assure même que l’importation de corète potagère deviendrait passible d’amende. Info ou intox ? On démêle, calmos, point par point.
Crédit : Habib M’henni (Dyolf77) / Wikimedia Commons – CC BY-SA 3.0
Ce que dit la rumeur qui agite TikTok
D’abord, le message. Une vidéo, mise en scène façon breaking news et reprise à grande vitesse sur TikTok, affirme qu’un texte va interdire la préparation et l’importation de la mloukhya en 2026. L’argumentaire joue sur trois ressorts : un risque sanitaire supposé lié à la corète, un discours culturel (« protéger la gastronomie française »), et le nom d’une personnalité politique, Bruno Retailleau, présenté comme porteur de la mesure. Résultat : indignation, partages, puis sentiment d’urgence. « On ne touche pas à la mloukhya ! », peut-on lire sous la vidéo.
Le procédé est classique : associer une pratique populaire à une pseudo-menace réglementaire, y coller un visage connu, et emballer le tout dans une esthétique d’alerte. C’est précisément ce qui favorise la viralité. Mais saviez-vous que ce type de vidéos joue souvent sur un savant mélange de vrai et de faux, calibré pour déclencher colère et clics ?
D’où vient réellement cette « alerte » ?
En remontant à la source, on tombe sur le compte France Actu. Sa promesse ? Des « actus saugrenues », avec un slogan très parlant : « 25 % de vrai ». Autrement dit, un format satirique qui s’autorise des affirmations partiellement fausses… parfois entièrement. À ce stade, un simple réflexe suffit : quand une page revendique elle-même ne pas être fiable à 100 %, on évite de partager sans recul.
Aucune trace, par ailleurs, d’un décret, d’une ordonnance ou d’un projet de loi ciblant la mloukhya. Pas davantage de déclaration officielle de Bruno Retailleau validant l’idée d’une « maghrébisation » de la cuisine française ou d’un bannissement du plat. L’attribution est erronée.
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Crédit : Meriemou / Wikimedia Commons – CC BY-SA 4.0
Santé & sécurité : la corète potagère n’est pas sur liste rouge
Autre point crucial : si un aliment présentait un risque identifié, l’alerte remonterait rapidement. Or, la DGCCRF — l’autorité qui retire du marché les produits dangereux — n’a enregistré aucune alerte concernant la corète potagère. La mloukhya, consommée depuis des siècles en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ne présente aucun risque connu lorsqu’elle est préparée correctement.
À ce propos, une précision utile : confondre craintes vagues et preuves scientifiques est l’un des ressorts majeurs des infox. Lorsque vous tombez sur un contenu anxiogène, vérifiez s’il renvoie à des études, à un avis d’agence sanitaire ou à un rappel produit. S’il n’y a rien ? Prudence.
Crédit : Forest & Kim Starr / Wikimedia Commons – CC BY 3.0 US
Interdire un plat pour des raisons culturelles ? Juridiquement intenable
Sur le terrain juridique, l’idée même d’interdire un plat en raison de son origine culturelle relève du fantasme. Le droit du commerce et la libre circulation au sein de l’Union européenne cadrent strictement ce type de restrictions. Une mesure discriminante serait censurée par le Conseil d’État ou par la CJUE. En clair : même si quelqu’un voulait réellement bannir la mloukhya pour « protéger la gastronomie française », ce projet n’irait nulle part.
Ce détail que peu de gens connaissent : lorsqu’un État limite la mise sur le marché d’un produit alimentaire, il doit démontrer un intérêt supérieur (santé publique, sécurité) et s’appuyer sur des éléments tangibles. Les slogans ne suffisent pas.
Pourquoi la vidéo a cartonné si vite
La séquence a cumulé plus de deux millions de vues en quelques heures. Rien d’étonnant : elle coche toutes les cases du contenu viral. Ton alarmiste, injonction à partager, sentiment d’injustice, cible politique identifiée… et un marqueur temporel (« dès 2026 ») qui crée l’urgence. Les réseaux sociaux privilégient la réaction rapide. L’algorithme, lui, récompense l’engagement — pas la véracité.
Petit mémo anti-intox : si une vidéo vous pousse à « partager d’urgence », stop ! Faites une recherche inverse, croisez avec un média fiable ou une source publique (ministères, agences sanitaires). Dans 8 cas sur 10, la panique retombe.
Mloukhya : un plat de transmission, loin des fantasmes
Remettons le plat au centre de la table. La mloukhya — que l’on trouve aussi sous les noms mloukhiya, molokhia ou mulukhiyah — est un ragoût à base de corète potagère. En Tunisie, les feuilles sont souvent séchées puis réduites en poudre, avant une cuisson lente qui donne cette texture onctueuse, presque noire en fin de mijotage. On la sert avec du pain ou du riz, et parfois avec du bœuf, de l’agneau ou du poulet.
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Au-delà de la recette, c’est un symbole de convivialité. Un plat de famille, de transmission, de temps long. « Interdire » ce geste culinaire ? L’idée heurte autant le bon sens que le droit.
Comment vérifier une info virale en 60 secondes
Avant de partager, imposez-vous une petite « pause vérif ». D’abord, regardez qui publie : média reconnu, institution, ou compte satirique ? Un slogan du type « 25 % de vrai » ou une bio humoristique doit immédiatement déclencher le doute. Ensuite, cherchez la trace officielle : un texte de loi, un décret, un communiqué, un avis d’agence sanitaire. S’il n’existe rien de concret, c’est un gros signal.
Passez ensuite aux citations et dates. Les fausses infos adorent attribuer une phrase choc à une personnalité et fixer un horizon précis (« dès 2026 ») pour créer l’urgence. Tapez la citation entière entre guillemets dans un moteur de recherche : si elle n’apparaît nulle part dans une source fiable, c’est probablement inventé.
Poursuivez par un croisement rapide des sources. Deux ou trois médias sérieux, une vérification d’un service de fact-checking, et un tour sur les sites des autorités (ministères, DGCCRF, Commission européenne) suffisent souvent à faire tomber la rumeur. Si vous ne trouvez que des reprises de la même vidéo virale, sans élément nouveau, c’est du bouche-à-oreille numérique, pas une information.
Enfin, examinez la mise en scène : ton alarmiste, injonction à « partager d’urgence », statistiques rondes et dramatiques, visuels sensationnalistes. Ces recettes servent l’émotion, pas la preuve. En cas de doute, ne partagez pas : attendre quelques heures laisse aux rédactions et aux autorités le temps de publier un démenti clair.
Verdict
Il n’existe aucune interdiction de la mloukhya en France, ni texte, ni déclaration de Bruno Retailleau, ni alerte sanitaire sur la corète potagère. L’« info » vient d’un compte satirique et a prospéré grâce à la mécanique des rumeurs. La seule vraie mesure d’urgence, ici, c’est d’apprendre à débrancher le réflexe « partage ».
Le seul « 25 % de vrai » dans cette histoire… c’est le slogan du compte à l’origine de la rumeur.