Découverte en Australie d’un étrange requin qui brille dans le noir
Les profondeurs marines n’ont pas fini de surprendre les scientifiques. Au large de l’Australie occidentale. Une récente campagne de recherche a permis d’identifier un petit requin lumineux. Et un crabe étonnant qui vivent dans l’obscurité quasi totale des abysses.
Et derrière ces créatures discrètes se cache un enjeu majeur. Mieux comprendre la biodiversité cachée des grands fonds, à l’heure où elle est plus que jamais menacée.
Crédit : Pixabay – DavidGallie
Une expédition au large de l’Australie qui change la donne
Dans les années récentes, les abysses océaniques sont devenues un véritable terrain d’exploration pour les scientifiques. En 2022, une grande expédition scientifique a été menée à bord du navire de recherche RV Investigator. Opéré par le CSIRO, l’organisme national australien de recherche. L’objectif : collecter des spécimens dans les profondeurs au large de la côte ouest de l’Australie. Dans des zones où l’être humain ne met pratiquement jamais les pieds.
Au fil des jours, les filets et instruments de prélèvement ont ramené à bord une faune étonnamment variée. Parmi ce matériel biologique, les chercheurs ont rapidement compris qu’ils ne tenaient pas seulement des espèces déjà connues. Des analyses plus poussées ont révélé l’existence de plusieurs organismes jamais décrits auparavant. Suffisamment distincts pour être reconnus comme de nouvelles espèces pour la science.
Ce travail patient a abouti, en 2025, à la description scientifique de près d’une vingtaine d’espèces différentes. Certaines ressemblent à des créatures venues d’un autre monde, façonnées par la pression, le froid et l’absence totale de lumière. D’autres, plus discrètes mais tout aussi fascinantes, se sont révélées être maîtres dans l’art de se cacher… Y compris en produisant elles-mêmes de la lumière.
Un petit requin-lanterne qui brille dans le noir
Parmi ces découvertes, un poisson attire particulièrement l’attention : un requin bioluminescent de petite taille, baptisé Etmopterus westraliensis. Cette nouvelle espèce, surnommée le requin-lanterne d’Australie occidentale, a été identifiée à partir de six spécimens remontés à bord du RV Investigator lors de l’expédition de 2022.
Ce requin ne mesure qu’environ 40,7 centimètres de long. Bien loin de l’image du grand prédateur effrayant popularisée par le cinéma. C’est un petit chasseur des profondeurs, évoluant jusqu’à environ 610 mètres sous la surface. Dans cet environnement où le soleil ne pénètre plus, chaque rayonnement lumineux devient un précieux outil de survie.
Etmopterus westraliensis possède de grands yeux, adaptés à la faible luminosité des fonds marins profonds. Mais surtout, son ventre est tapissé de photophores lumineux, de minuscules organes spécialisés capables d’émettre de la lumière. Cette bioluminescence intrigue particulièrement les chercheurs. Elle pourrait servir à se camoufler en imitant la faible lumière qui descend depuis la surface, rendant le requin presque invisible pour les prédateurs situés en dessous.
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Certains spécialistes évoquent aussi un rôle possible dans la communication entre individus, qu’il s’agisse de reconnaître un partenaire ou de coordonner leurs déplacements.
Même si ces hypothèses doivent encore être confirmées, elles illustrent à quel point ce petit requin-lanterne est un champion de l’adaptation à l’obscurité. Il s’agit par ailleurs de la troisième nouvelle espèce de requin décrite à partir de la même expédition, ce qui en dit long sur la richesse insoupçonnée de ces eaux profondes.
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Un crabe porcelaine, caméléon des coraux mous
L’expédition ne s’est pas contentée de ramener un requin lumineux. Dans un tout autre habitat, plus proche de la surface mais tout aussi méconnu, les chercheurs ont découvert un crabe porcelaine inédit, baptisé Porcellanella brevidentata. Ce minuscule crustacé, d’environ 15 millimètres, a été collecté le long de la côte de Ningaloo, jusqu’à 122 mètres de profondeur.
Son mode de vie est très particulier : ce crabe vit en symbiose avec des pennatules, des coraux mous apparentés aux gorgones. Il se niche parmi les structures de ces coraux, dont il imite finement l’apparence. Sa couleur blanc-jaune opalescent lui donne en effet un aspect de porcelaine qui se fond parfaitement dans le décor. Ce camouflage quasi parfait lui permet de passer inaperçu aux yeux des prédateurs comme des plongeurs.
Mais ce qui distingue vraiment Porcellanella brevidentata, c’est sa façon de se nourrir. À la différence des crabes plus familiers, qui utilisent leurs pinces pour saisir et découper leur nourriture, ce crabe filtre le plancton en utilisant des pièces buccales modifiées.
Ces structures portent de longs poils qui ratissent littéralement la colonne d’eau pour capturer de minuscules particules alimentaires. Une stratégie très efficace dans un milieu où chaque fragment de nourriture compte.
Ce crabe porcelaine n’est donc pas seulement joli à regarder : il illustre aussi la diversité incroyable des comportements et des relations entre espèces dans les écosystèmes marins, même à des profondeurs encore accessibles à la lumière du jour.
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Pourquoi la bioluminescence fascine autant les scientifiques
Si Etmopterus westraliensis attire autant l’attention, c’est parce qu’il s’inscrit dans un phénomène bien plus vaste : celui de la bioluminescence dans les océans. Dans les zones où règne une obscurité quasi permanente, produire sa propre lumière est une arme à la fois rare et précieuse. Méduses, poissons, certains crustacés et même des organismes plus discrets utilisent cette capacité pour survivre dans des conditions extrêmes.
La bioluminescence repose sur une réaction chimique bien particulière. En général, elle met en jeu une enzyme, la luciférase, et un substrat, la luciférine. Lorsque ces molécules interagissent, elles produisent une émission de lumière, souvent bleue ou verte, qui se propage dans l’eau sombre. Dans les abysses, ce simple halo peut suffire à piéger une proie curieuse ou à faire fuir un prédateur surpris.
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Mais la bioluminescence n’est pas qu’un outil de chasse. Dans certains cas, elle sert aussi à attirer un partenaire ou à échanger des signaux entre individus de la même espèce. On parle alors d’un véritable langage lumineux, invisible à nos yeux de surface mais essentiel pour la vie dans les profondeurs marines.
Les scientifiques ne s’y intéressent pas seulement par curiosité. Les gènes et mécanismes impliqués dans ces réactions lumineuses sont utilisés comme marqueurs en recherche génétique, pour suivre par exemple l’activité de certaines cellules. Les enzymes lumineuses inspirent aussi la création de capteurs environnementaux sensibles, capables de détecter des polluants ou des variations chimiques dans l’eau.
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Des créatures lumineuses menacées par nos activités
Derrière la beauté de ces reflets bleutés, une réalité plus inquiétante se dessine. Les écosystèmes profonds ne sont pas à l’abri des impacts humains. Pollution, changement climatique, exploitation potentielle des fonds marins : autant de pressions qui peuvent affecter des espèces dont nous commençons à peine à comprendre le fonctionnement.
Les espèces bioluminescentes sont particulièrement sensibles aux perturbations. L’introduction de lumière artificielle, venant par exemple de certaines activités humaines en mer, peut bouleverser leurs comportements. Une modification de la chimie de l’eau, liée au réchauffement ou à l’acidification des océans, risque aussi d’affecter les réactions chimiques qui produisent leur lumière.
Les scientifiques insistent donc sur l’importance de préserver ces milieux encore largement inexplorés. Protéger la biodiversité marine des abysses, c’est aussi protéger un immense réservoir d’adaptations évolutives uniques, qui pourraient un jour inspirer de nouvelles technologies, de nouveaux outils médicaux ou de nouveaux matériaux. Mais saviez-vous que nous ne connaissons probablement qu’une infime partie de ce qui vit réellement dans ces profondeurs ?
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De futures missions pour cartographier la vie des abysses
Face à ces enjeux, les équipes impliquées dans l’expédition de 2022 ne comptent pas s’arrêter là. De nouvelles missions sont déjà programmées, notamment dans le parc marin de la mer de Corail. Ces campagnes rassembleront à la fois des chercheurs déjà présents lors de la première expédition et de nouveaux collaborateurs, afin d’élargir encore le champ des observations.
Ces voyages représentent un investissement conséquent en temps, en moyens techniques et en expertise, mais ils sont essentiels pour combler les lacunes de notre connaissance des écosystèmes profonds. Chaque plongée, chaque prélèvement, chaque spécimen étudié fait progresser la cartographie de la biodiversité des abysses, en mettant au jour des liens parfois inattendus entre espèces et environnements.
Pour les scientifiques, ces explorations ont aussi une dimension symbolique : celle de transformer la simple curiosité en découvertes concrètes. En cette fin d’année 2025, les résultats publiés autour du requin-lanterne d’Australie occidentale et du crabe porcelaine montrent à quel point il reste du chemin à parcourir. Mais ils prouvent aussi que les efforts engagés commencent à porter leurs fruits.
Car derrière ces quelques espèces nouvellement décrites, se cache une perspective vertigineuse. Les estimations suggèrent que près de vingt nouvelles espèces ont déjà été décrites grâce à l’expédition de 2022…
Et que jusqu’à six cents autres espèces pourraient encore être identifiées dans ces mêmes régions profondes. Une révélation qui, à elle seule, suffit à rappeler que les océans gardent encore de nombreux secrets lumineux à dévoiler.