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Le Grand Hiver 1788-1789 : quand un froid historique prépare, en silence, la rupture de 1789

Publié par Killian Ravon le 02 Déc 2025 à 0:30

En plein mois de novembre 2025, alors que la France connaît un temps légèrement plus doux que la moyenne. L’Histoire rappelle qu’un hiver rigoureux peut tout faire basculer.

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Hiver 1788-1789 à Paris, Seine gelée, passants pauvres emmitouflés et carriole tirée par un cheval devant Notre-Dame.
Sous le Grand Hiver, la Seine figée se transforme en rue glacée où les Parisiens les plus modestes avancent péniblement parmi les charrettes.

À la fin de l’année 1788. Une vague de froid d’une violence exceptionnelle s’abat sur le royaume, fige les fleuves. Et épuise une population déjà fragilisée.
Ce « Grand Hiver » va bouleverser le quotidien des Français pendant près de deux mois… Et accentuer une tension sociale qui n’attend qu’une étincelle.

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Louis XVI distribue des pièces à des pauvres en manteaux sombres, dans la neige, devant le château de Versailles.
Louis XVI tente de soulager la détresse des plus pauvres en plein hiver 1788-1789, alors que le royaume grelotte.
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Un hiver oublié qui commence dès la fin novembre

À la fin du mois de novembre 1788, la France sort déjà d’une année difficile. L’été a été mauvais, les récoltes de 1788 ont déçu, et l’orage du 13 juillet a détruit une partie des cultures. Dans ce contexte anxieux, un vent glacial venu de l’est traverse soudain le pays. En quelques nuits, les canaux se figent, les sols se durcissent, les sabots des chevaux résonnent sur une terre qui devient pierre.

À Paris, le gel devient permanent dès le 25 novembre. Les thermomètres, encore rares à l’époque, relèvent –12 °C le 27 novembre, avec une maximale qui ne dépasse pas –7 °C. Le lendemain, la température chute à –14 °C, puis remonte à peine, à –12 °C le 29 novembre. La capitale entre dans une période de températures extrêmes que peu de contemporains avaient connue à ce niveau de brutalité.

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Ce contraste est d’autant plus frappant si l’on se tourne vers notre présent. Les météorologues estiment que ce mois de novembre 2025, marqué par des alternances de douceur et de coups de frais, se situe environ 0,8 °C au-dessus des normales de saison.

Une moyenne calculée sur 30 ans

Ces « normales » correspondent à une moyenne calculée sur une période de 30 ans, jour par jour et mois par mois, par exemple de 1971 à 2000 pour les données historiques utilisées dans ce dossier. Elles servent de référence pour mesurer l’anomalie d’un mois ou d’un hiver : on compare la valeur observée à cette moyenne de long terme pour dire si le temps est plus froid ou plus doux que d’habitude.

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Dans le cas du Grand Hiver 1788-1789, la comparaison avec la moyenne 1971-2000 montre une anomalie d’environ –11,4 °C entre le 24 novembre et le 17 janvier. Un déficit inimaginable aujourd’hui, surtout dans un contexte de réchauffement climatique où les hivers rigoureux se raréfient.

Maisons et arbres enneigés bordant la Seine, silhouettes emmitouflées marchant sur un chemin blanc sous un ciel d’hiver gris.
Un village de bord de Seine figé sous la neige, écho des hivers d’antan où la glace paralysait les campagnes.

Décembre 1788, quand Paris se fige

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Avec l’arrivée de décembre 1788, le froid franchit un nouveau cap. Les chroniqueurs parlent d’une bise « cruelle », d’un air « de pierre ». À Paris, le gel continu commencé le 25 novembre se poursuit sans discontinuer jusqu’au 21 décembre. Le 18 décembre, on relève –18 °C le matin et à peine –13 °C en journée. Le froid ne se contente plus de piquer les visages : il structure la vie quotidienne.

Une courte accalmie est observée les 21 et 22 décembre. Elle ne dure pas. Le 24, le thermomètre replonge à –14 °C. Noël et le 26 décembre sont un peu plus supportables, mais la fin du mois marque un nouveau minimum. Le 30 décembre au matin, on mesure –18 °C à Paris (–13 °C l’après-midi). Le 31 décembre, la capitale tombe à –22 °C, tandis que Strasbourg descend autour de –26 °C.

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La moyenne de décembre 1788 à Paris atteint environ –6,8 °C. C’est le deuxième mois de décembre le plus froid jamais enregistré dans la ville, juste derrière décembre 1879. La Seine se couvre de glace, les faubourgs n’ont d’autre choix que de casser la surface gelée pour puiser de l’eau. Le bois se fait rare, son prix grimpe, et certains habitants en viennent à brûler leurs vieux meubles pour se chauffer. Dans les campagnes, les bêtes meurent dans des étables glacées, la paille elle-même étant gelée.

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Ce détail que peu de gens connaissent, c’est la durée de cet épisode : du 24 novembre au 17 janvier, la période reste exceptionnellement froide, presque sans répit. À l’échelle de plusieurs siècles de mesures, cette séquence demeure l’une des plus intenses observées sur la région parisienne.

Début 1789 : un royaume paralysé par le froid

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Le changement d’année n’apporte aucun répit. Dans les vignes de Bourgogne, déjà meurtries par les gelées tardives de mai, le froid finit d’achever ce que l’été avait mal commencé. En Alsace, le Rhin devient un ruban opaque et silencieux. En Suisse, le Léman semble figé sous une croûte glacée.

Partout, les routes se transforment en pièges. Les convois peinent à avancer, les courriers se perdent ou arrivent avec un retard considérable. Dans un royaume encore très dépendant des transports terrestres et fluviaux, ce blocage quasi général signifie ralentissement des échanges, pénurie de denrées et isolement de nombreux territoires. Les autorités locales alertent Versailles : le peuple souffre, et la situation ne peut durer.

La première quinzaine de janvier 1789 est décrite comme l’une des plus dures du XVIIIᵉ siècle. Certains journaux rapportent des valeurs proches de –20 °C, parfois moins. Les cloches se fendent, les moulins cessent de tourner, les rivières ne jouent plus leur rôle de voies de circulation. À Paris, la saison hivernale (décembre, janvier, février) enregistre un record de 86 jours de gel.

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Les 4, 5 et 6 janvier marquent le paroxysme du Grand Hiver 1788-1789. Un vent de nord-est s’abat sur la capitale, maintenant les températures matinales entre –14 et –15 °C, avec des après-midis qui ne dépassent pas –9 à –10 °C.

La Seine, la Loire, le Rhône et la Saône connaissent tous des phases de gel, compliquant l’acheminement des marchandises vers les grandes villes. Dans une économie encore largement dépendante du transport fluvial, cette paralysie a des conséquences directes sur le ravitaillement.

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Rue parisienne animée sous la neige, passants emmitouflés et fiacres avançant lentement devant des immeubles du XIXe siècle.
Les rues parisiennes sous la neige rappellent à quel point la capitale pouvait être paralysée par les grands hivers.
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Un choc humain et économique majeur

Un hiver rigoureux ne se mesure pas seulement en degrés. Il laisse aussi des traces dans les registres paroissiaux. L’historien Emmanuel Le Roy Ladurie estime la surmortalité de janvier 1789 à environ 10 000 décès. À titre de comparaison, le terrible hiver de 1709 avait fait autour de 700 000 victimes, mais le chiffre de 1789 reste significatif.

Le déficit de naissances est encore plus marqué, avec près de 30 000 naissances en moins. Les explications se trouvent dans les reports de mariages — environ 10 000 unions de moins en 1788 — et dans la disette qui touche les populations les plus modestes, provoquant parfois l’aménorrhée chez les femmes, c’est-à-dire l’arrêt des règles en situation de sous-alimentation.

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Lorsque les températures finissent par se radoucir, en février, ce n’est pas vraiment une délivrance. Le dégel est désordonné, les neiges fondent brutalement, provoquent inondations et routes impraticables. Les dégâts sont importants dans les campagnes comme dans les villes. Le printemps 1789 révèle un pays affaibli, des champs abîmés et une flambée du prix du pain qui devient le symbole d’une injustice ressentie dans toutes les couches populaires.

Ce n’est pas un hasard si les émeutes frumentaires se multiplient. L’historien Jean Nicolas recense 58 émeutes liées au ravitaillement en 1788, puis 239 au cours des quatre premiers mois de 1789, dont un pic de 105 en avril. Le pain, déjà au cœur des budgets populaires, devient un marqueur de tension sociale : lorsque son coût s’envole, c’est tout l’équilibre d’un foyer qui bascule.

Grande foule serrée dans une rue du faubourg Saint-Antoine, soldats en armes encadrant les manifestants devant les maisons.
Au faubourg Saint-Antoine, la colère gronde quelques mois après le Grand Hiver, prélude aux journées révolutionnaires.
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De la météo à la colère : un pays au bord de la rupture

Dans les quartiers populaires, la colère ne se limite pas à quelques échauffourées. À Paris, les émeutes Réveillon des 27 et 28 avril 1789 sont souvent considérées comme l’une des premières grandes explosions de violence juste avant l’ouverture des États généraux. La manufacture de papiers peints Réveillon est prise pour cible, pillée, ses meubles jetés par les fenêtres et incendiés. La rumeur, la peur de voir les salaires baisser alors que le prix du pain flambe, et le souvenir encore très proche du Grand Hiver 1788-1789 nourrissent ces débordements.

Dans ce climat, la convocation des États généraux pour le 5 mai 1789 apparaît comme une promesse de changement, mais aussi comme un exutoire possible à des frustrations accumulées depuis des années. Entre mauvaises récoltes, crise économique et blocages politiques, la société française est sous tension bien avant l’hiver. Mais ce dernier agit comme un révélateur, en rendant visible, dans la vie quotidienne, la fragilité de tout un système.

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Même si les contemporains n’utilisent pas le terme, on pourrait dire que l’hiver fait office de « stress test » grandeur nature pour l’Ancien Régime. Le gouvernement tente de réagir, Louis XVI distribue des aumônes aux plus pauvres, mais ces gestes, aussi sincères soient-ils, n’empêchent pas la montée d’un ressentiment plus profond.

Vue en hauteur d’un quai de Seine enneigé, silhouettes sombres dispersées, pont et grands bâtiments noyés dans une brume hivernale.
La Seine sous un manteau neigeux, atmosphère brumeuse et silencieuse qui rappelle la dureté des hivers parisiens d’antan.

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Quand la météo sert de « gâchette » à la Révolution

Au moment où éclatent les événements de l’été 1789, l’Ancien Régime accumule déjà dettes, tensions politiques et critiques depuis des décennies. Les causes de la Révolution française sont multiples, enracinées dans l’évolution de la société, des finances publiques, des idées politiques. Pourtant, les historiens comme Emmanuel Le Roy Ladurie insistent sur le rôle de certaines séquences climatiques.

Le Grand Hiver 1788-1789 n’explique évidemment pas à lui seul la chute de la monarchie. Mais il agit comme une gâchette, au sens où il actualise brutalement des causes plus lentes. En quelques semaines, il transforme une crise latente en crise visible : les fleuves gelés perturbent l’approvisionnement, la mortalité hivernale augmente, les récoltes déjà mal engagées sont compromises, les prix s’envolent, les émeutes frumentaires se multiplient. Le pays entre alors dans une spirale où la météo se mêle aux revendications politiques et sociales.

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C’est ce détail que peu de gens connaissent : derrière les grandes dates inscrites dans les manuels — 5 mai, 14 juillet, 4 août — se cache un épisode climatique d’une violence rare, survenu quelques mois plus tôt. Un hiver où la Seine, la Loire et le Rhin ont pris l’aspect de routes de glace, où l’air semblait de pierre, et qui a contribué, silencieusement mais puissamment, à préparer la rupture de 1789.

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